#title A propos de la « conscientisation » et de son racket #subtitle Base pour une lutte anti-politique #author Jacques Heurie #SORTauthors Heurie Jacques #SORTtopics antipolitique, politique, conscientisation #date 2009 #source Consulté le 21/09/2016 de [[http://www.non-fides.fr/?A-propos-de-la-conscientisation-et][non-fides.fr]] #lang fr #pubdate 2016-09-21T20:52:40 #notes Extrait de Non Fides N°IV, juillet 2009. « Toi, oui toi, ta naissance fait de toi le sujet le plus propice à révolutionner. Tu as toutes les cartes en main (c’est à dire aucune) pour réaliser tes potentialités révolutionnaires. Il y a juste une chose, tu ne le sais pas encore. » Dans le monde chimérique et restreint du militant politique, Les êtres devenus « sujets révolutionnaires » errent dans les limbes de l’inconscience jusqu’à ce que l’un d’eux, tel l’ange Gabriel, vienne les en soustraire par voie de conscientisation. La révélation, Le tract miracle, le choix des bons mots, la tactique infaillible, la théorie révolutionnaire scientifiquement prouvable sont autant de stratagèmes au service de l’envoûtement des masses ; car à ce niveau là de déshumanisation, on peut bien parler de « masses », ou encore de « peuples », de « races » ou de classes, ou de n’importe quelle autre catégorie socio-politique assujettissant l’individu à ce qu’il n’a pas choisi d’être ou à la pression d’un groupe social. L’exploitation n’est pas uniquement un fait mathématique tangible en toute occasion, elle ne peut devenir insupportable qu’à celui qui la ressent et qui souhaite s’en libérer. Mais dés lors qu’elle est supportable et souhaitée, peut-on parler avec justesse d’exploitation ? C’est une question que nous souhaitons poser, car nous ne prétendons pas avoir plié la question, par exemple à l’aide d’une pirouette théorique sortie d’un siècle poussiéreux. Par contre il ne fait aucun doute qu’en terme de complicité, des liens ne peuvent aucunement s’établir avec un exploité satisfait de sa situation, avec qui une ambiguïté autoritaire s’insinuerait forcement dans les rapports. Forcer une personne à être libre, selon une schématisation de la liberté qui n’est pas la sienne, voici le pire des fourvoiements ; le meilleur cul-de-sac imaginable et possible pour une bonne intention, dont l’enfer est d’ailleurs pavé. Avec de telles conceptions, chaque militant est un guide suprême à sa petite échelle, rendant des comptes à un plus vaste superviseur, lui aussi bien intentionné, comme le curé à son évêque, l’évêque à son cardinal, les divers degrés de conscience étant l’engrais d’une nouvelle hiérarchie. Dans le petit jeu de la politique, tout le monde est dominé, et tout le monde domine -sauf le dernier maillon de la chaîne : LE sujet révolutionnaire progressivement conscientisé, encore une fois baisé par de belles illusions. La conscientisation est une excuse tombée du ciel pour pratiquer la démagogie et le populisme sans complexer pour autant. De ci de là fleurissent des discours simplistes, réduit au minimum (syndical) pour pouvoir être contenus dans de vulgaires slogans kitch, accrocheurs et folkloriques. C’est que le sujet révolutionnaire erre encore dans le dernier cercle, le degré de conscience le plus médiocre. C’est pourquoi le militant se doit d’être lisible jusqu’à parfois s’abaisser au niveau de livres pour enfants. Mais après tout quelle différence entre un enfant de 6 ans, un labrador et un sujet révolutionnaire ? Tous remuent la queue lorsqu’on leur fait des promesses ou qu’on leur parle de lendemains qui chantent. Qui, de ceux qui se sont déjà engagés dans des collectifs de soutien aux sans-papiers n’a t il jamais entendu de remarques frustrantes du genre « Je te rappelle que ce tract est censé être diffusé dans un quartier populaire » pour justifier son néant ou la faiblesse de son argumentation ? Qui dans des luttes de travailleurs n’a jamais entendu de remarques du type « On ne peut pas encore dire ça, vous allez trop vite » ? Alors, il ne s’offre plus au militant que la possibilité d’une pensée slogan. Des slogans comme « police partout justice nulle part » ou « de l’argent il y en a, dans les caisses du patronat » sont typiques du nihilisme militant. Comme si pour se débarrasser du capitalisme il fallait prendre l’argent aux riches pour devenir riches nous même ou pour le redistribuer plutôt que d’abolir totalement les relations économiques et monétaires. Le militantisme est l’art de faire passer ses idées de mains en mains jusqu’à ce qu’elles disparaissent, car derrière cette volonté de clarifier leur pensée, les militants finissent par approfondir la confusion. Déjà largement malmenée, la sincérité du militant se retrouve littéralement dans les égouts à essayer de concurrencer les émissions télévisuelles de divertissement en se mettant à leur niveau, constat fait de leur succès parmi les classes populaires. Dans cette course à l’échalote de la popularité nécessaire du militant, quelle peut être la limite si l’on considère que la révolution ne peut dépendre que de cons décérébrés réduits à l’état de pions à placer sur une grande carte stratégique de la révolution ? La tactique sert alors de façon plus ou moins décomplexée à manipuler la chair à canon électorale ou révolutionnaire ; et nous sommes tous du gibier à militant. Après nous avoir refourgué son thé, son repas gratuit, il nous inflige son idéologie dans la plus pure tradition du racket politique. Prolétaire, exploité, indésirable, retourne ton arme contre ceux qui font de toi un sujet politique, ceux qui t’analysent et te transforment en sujet d’étude perpétuelle, les maquereaux qui se donnent pour rôle de te dompter sur la vraie voie révolutionnaire. Jacques Heurie.