Nancy Antisexist

De la misère sexiste en milieu anarchiste

ou un pavé de plus dans l’anar

2008

      Sexisme et capitalisme : même logique

      Le privé est politique

      Colères de femmes

      De la place des hommes dans la lutte antisexiste

      Outils collectifs

Compilation de textes écrits par des femmes et des hommes

Ces textes ont été écrits par individu-e-s anarchistes, des hommes et des femmes révolté-e-s par les nombreux cas de violences conjugales qui se sont révélés ces derniers temps au sein de notre milieu, et révèlent une réalité qu’il est temps de regarder en face, car nous pensons qu’ils ne sont pas isolés.

Les violences conjugales, ce sont tous les petits actes, propos, attitudes, qui pris isolément peuvent paraître anodins mais qui mis bout à bout créent un rapport profondément asymétrique et placent la femme sous l’emprise de son compagnon. C’est la récurrence au sein du couple de processus de contrôle, d’isolement, de dévalorisation, de culpabilisation.

Nous pensons qu’il est temps de réagir collectivement face à un système d’oppression si fortement ancré en nous. Qu’il est temps de ne plus laisser passer de tels actes. Qu’il est temps de réfléchir collectivement pour agir collectivement. C’est ce que nous avons tenté de commencer à travers ces textes.

Le patriarcat ne s’écroulera pas tout seul, aidons-le !

des hommes et des femmes

nancy.antisexist at no-log.org


Sexisme et capitalisme : même logique

Ou du sexisme en tant que mécanisme de domination de classe.

Les anars se définissent notamment comme anticapitalistes. Illes reconnaissent qu’il y a des exploité-e-s et des exploiteur-euse-s : le débat n’est pas de dire « tou-te-s les patron-ne-s sont méchant-e-s » ni « tou-te-s les ouvrier-e-s sont gentil-le-s », mais de reconnaître qu’il y a un système général de domination, qu’il faut détruire cette domination (non pas en tuant tou-te-s les patron-ne-s et leur familles mais en luttant contre le système qui crée cette domination : le capitalisme !). Il en va de même pour le système patriarcal : oui, les hommes sont aussi aliénés par ce système car ils sont soumis à des normes. Néanmoins, dans ce système, chaque homme n’en reste pas moins conditionné à être l’oppresseur !

Pour être réellement efficace, la lutte contre le sexisme doit se faire à deux niveaux : premièrement, critique du conditionnement et des carcans genrés, subis aussi bien par les hommes que par les femmes. Car oui, dans ce système, les hommes aussi sont oppressés , et subissent un contrôle social par la virilité obligatoire, la nécessité permanente de prouver « qu’on a des couilles », etc.

Cependant , le fait que les hommes soient aussi oppressés ne les justifient en rien lorsqu’ils continuent à cautionner un système de domination ! Pour revenir à l’exemple de l’anticapitalisme, on est d’accord pour dire que « y’a des patron-ne-s qui sont aussi aliené-e-s et qui ont aussi des vies de merde » ou encore que « les ouvrier-e-s sont con-ne-s aussi, ils-elles vont bosser pour acheter des conneries, donc ils-elles se complaisent dans leur rôle de dominé-e-s ». Néanmoins, c’est pas pour ça qu’on va dire « les ouvrier-e-s et les patron-ne-s, c’est pareil ! » : on lutte quand même avec les dominés contre les dominants pour abolir toute domination. Ainsi, on admet que les patron-ne-s ne vont pas spontanément abandonner leurs privilèges.

De la même façon, les hommes sincèrement antisexistes doivent être cohérents : les grands discours « universalistes » du type« hommes femmes, même combat, tou-te-s victimes de l’oppression genrée ! » servent malheureusement trop souvent à nier qu’en pratique, il y a bien des différences, qu’elles sont ultra-interiorisées en chacun-e de nous, y compris chez les anars. Il est d’autant plus difficile d’arriver à une prise de conscience et une remise en question que l’antisexisme semble un postulat acquis. De fait, hommes et femmes n’utilisent que peu ces grilles d’analyse puisque qu’illes sont persuadé-e-s de les avoir dépassées : l’homme ne se pense pas comme dominant ni la femme comme dominée, et tou-te-s deux cherchent d’autres explications à leurs comportements genrés. Il est nécessaire pour avancer de reconnaître les rapports de pouvoir entre les sexes. Chacun-e doit admettre sa part de construction genrée et regarder sa place dans le rapport dominant-dominée. Ce n’est que lorsqu’on a conscience des choses qu’on peut espérer les modifier. Affirmer qu’on est super déconstruit c’est la meilleure façon de refuser d’évoluer. Le dépassement des genres est un travail long et difficile, car il remet en cause une très grande partie de nous même, qu’on a intériorisé notre genre depuis notre naissance, car il est toujours difficile de se remettre en question, d’autant plus quand cela touche à notre identité même. C’est pour ça qu’il faut qu’on se bouge le cul, individuellement mais aussi collectivement en créant des groupes mixtes et non-mixtes, d’hommes et de femmes notamment.

Comme le capitalisme, ce sexisme est un système d’oppression organisé. Comme on aime à le répéter lorsqu’on parle du capitalisme, une barricade n’a que deux cotés. Ne pas agir radicalement contre un système oppressant c’est conspirer avec lui...

Le privé est politique

Ou une critique le la séparation de la vie

La sphère privée, c’est l’intimité du couple, ces moments où ce qui se passe entre les individu-e-s n’est connu que d’elleux même. La séparation des sphères publiques et privées est une des clefs de voûtes de la domination masculine. C’est par elle que le patriarcat se perpétue. La domination masculine et les violences qui en découlent s’opèrent majoritairement au sein de cette intimité et rarement en publique, devant tout-e-s les potes anars antisexistes par exemple.

C’est parce que le viol conjugal, les chantages affectifs et les humiliations et violences sexistes s’effectuent dans la sphère privée qu’ils peuvent se perpétuer. En effet, l’existence de cette sphère privée séparée de la vie publique et donc du regard des autres empêche :

- d’une part l’oppresseur d’être amené à considérer sa conduite comme étant une violence institutionnalisée et utilisée comme arme de domination par le patriarcat. On aura beau dire mille fois « c’est pas parce que je suis macho que je tape ma meuf, c’est parce qu’elle m’a énervé », dans les faits ce sont toujours les femmes qui subissent des violences de la part des hommes ;

- d’autre part la femme de se voir comme ce qu’elle est vraiment, c’est à dire comme une victime parmi tant d’autres de la violence de la domination masculine. « C’est pas parce qu’il est macho qu’il m’a tapé dessus, c’est parce que je l’ai saoulé » : c’est cette séparation du public et du privé qui amène la femme à se voir comme un cas isolé, uniquement victime de la violence d’un individu.

Constater les méfaits de cette séparation c’est admettre de fait que le privé est politique et que ce qui s’y passe ne relève pas seulement de l’individuel mais aussi et surtout de mécanismes socio-politiques depuis longtemps mis en évidence par la critique anarcha-féministe.

Ce qu’on entend par « lutter contre la séparation public-privé », c’est rendre publiques toutes ces oppressions, c’est « rendre la honte encore plus honteuse en la livrant à la publicité » et être en mesure d’établir une réponse, un positionnement et une réaction collective face à ces oppressions. Agir ainsi, c’est agir de façon à ce que lorsqu’une violence sexiste est commise au sein du milieu anarchiste, il n’y ait plus quelques individu-e-s proches de la victime qui soient au courant et déplorent ce qu’il s’est passé pendant que les autres ignorent tout et ne se posent pas même la question du pourquoi certaines personnes vont mal. Certes ce doit être un truc perso, mais est-ce pour cela que ça ne nous regarde pas ?

Agir ainsi, c’est agir de façon à ce que cela n’arrive plus et que ces violences soient criées haut et fort. La question n’est pas alors de diaboliser l’oppresseur et de plaindre la femme mais de se poser les questions suivantes : comment cela peut-il avoir lieu dans un milieu anarchiste se revendiquant de l’antisexisme ? Et comment faire pour que cela n’arrive plus ?

Poser ces questions revient à s’interroger sur nos comportements. Ainsi en tant qu’hommes, ne pérennisons-nous pas le système patriarcal par nos actes soi disant privés, qu’on les juge sexistes ou pas ? Et en tant que femme, l’isolement dans la sphère privée et le silence qui en découle ne permettent-ils pas la perpétuation de la domination masculine ?

Mais poser ces questions revient aussi à nous interroger sur les moyens que nous, anarchistes, voulons mettre en place pour lutter contre le sexisme dans sa totalité. Nous estimons que rendre publiques les violences qu’ont subi des femmes dans le cadre de leur vie privée contribue d’une part à porter le débat sur le sexisme dans la sphère publique ; et d’autre part, à s’interroger concrètement sur les réponses collectives que nous sommes en mesure de fournir.

Colères de femmes

Ou comment on devient une sale féministe

On me dit que ma colère n’est pas constructive, qu’elle n’est pas légitime ; que tout analyser en terme de rapports de genre et de domination sexiste est réducteur.

Oui, je suis en colère. Je suis révoltée parce que depuis toute petite, on m’a appris la soumission. On m’a expliqué que je devais être douce et compréhensive, ne pas m’énerver, ne jamais être violente. Parce qu’on m’a forcé à rentrer tout ça en moi, à subir les agressions et à ne pas broncher.

Je suis en colère parce que tous les jours, je suis renvoyée à mon rôle de femme, à ma place de femme. Femmes qui doivent gérer le quotidien, femmes qui ont le sens des responsabilités, femmes qui doivent toujours être capables de s’exprimer posément, femmes à qui tant d’activités sont interdites, parce qu’elles sont masculines.

Je suis en colère parce que je suis une bizarrerie : femme qui boit, qui crie, qui bricole, qui se bat. Parce que j’ai été contrainte d’adopter les codes masculins pour pouvoir exister dans des espaces publics, parce que j’ai été obligée de me battre pour être écoutée, crue, prise au sérieux, reconnue. Parce que je ne suis pas une femme, puisque je n’ai pas le comportement attendu d’une femme ; que je ne suis pas un homme, parce qu’il me manque une bite. Du coup, je suis la chieuse, l’emmerdeuse.

Je suis en colère parce que je me croyais forte. Et que j’ai laissé un homme me soumettre, m’humilier, me culpabiliser. Parce que je n’ai jamais voulu regarder cette situation de domination, parce que je ne voulais pas me voir comme la victime.

Je suis en colère parce que je n’ai pas le droit d’exprimer cette colère, parce que la femme qui s’insurge de ce qu’elle subit exagère toujours, va trop loin, est antimec. Je suis en colère parce qu’être féministe est un stigmate infamant. Parce que quand on gueule, c’est encore nous qui sommes jugées. Parce que c’est nous les hystériques, les lesbiennes, les mal baisées, les folles.

Je suis en colère parce que je parle avec des femmes, que nous avons toutes la même histoire, que cette histoire est celle du patriarcat et que la dénoncer nous expose à la répression de ceux qui n’y ont pas intérêt. Je suis en colère parce que l’homme arrive toujours à se faire passer pour la victime : victime de sa compagne qui l’a quitté, victimes des sales féministes qui l’oppresse par leurs blagues, victime de son conditionnement. Alors que merde, c’est nous femmes qui trinquons !

Je suis en colère parce que j’ai peur des hommes. De ce qu’ils peuvent faire subir, à moi ou à d’autres femmes. Parce qu’aujourd’hui il n’y a qu’en non-mixité que je me sens en confiance. Parce que oui, c’est dommage, mais que je n’ai simplement pas d’autre choix.

Je suis en colère parce que même quand des mecs réfléchissent à ces questions, c’est encore à nous, femmes, de les prendre par la main, de leur expliquer, de comprendre leurs doutes, de leur demander de prendre position, de les inciter à s’organiser.

Je suis en colère parce que dans tous les cas c’est à la femme de porter. De porter son histoire, les violences qu’elle subit, de porter la critique, les attaques antiféministes, le déni de sa rage. De porter la responsabilité de toujours réexpliquer.

Je suis en colère parce que je ne veux plus compatir. Je ne veux plus m’interroger des heures sur comment expliquer sans renvoyer un truc agressif ou blessant aux hommes. Je ne veux pas m’excuser d’être en colère.

Ce que nous exigeons, c’est d’être enfin entendues et reconnues, en tant que femmes, en tant que féministes, en tant que catégorie socialement opprimée.

Que crève le patriarcat. Maintenant, tout de suite.

De la place des hommes dans la lutte antisexiste

Ou en tant qu’homme, quel positionnement pouvons nous avoir face à la lutte antisexiste alors que nous faisons partie du camp des oppresseurs ?

Étant entendu que nous sommes prêts à participer à la lutte contre le sexisme dans nos milieux et ailleurs, nous ne souhaitons pas laisser de côté les questions théoriques que pose la participation de mecs à une lutte contre une domination que notre construction nous pousse à exercer. Notre but est de se poser des questions pour réfléchir à nos comportements et à nos actes dans le cadre de cette lutte et à la part de mauvaises raisons de les avoir. Malgré tout, on espère qu’on peut quand même essayer de faire évoluer les choses en participant à l’action collective, mais qu’il faut toujours rester vigilant pour que ça ne soit pas juste superficiel.

Il y a une sorte de contradiction théorique dans l’idée que la classe des opprimées ait besoin du soutien de membres de la classe des oppresseurs pour lutter. Typiquement si des ouvrie-re-s se révoltaient parce que l’un-e des leurs s’est fait-e buter par un-e patron-ne et que ces mêmes patron-ne-s participaient à la révolte, nous aurions tendance à dire que ce sont des vendu-e-s qui cherchent à se dédouaner de leur position de patron-ne et que y’a pas besoin de la caution des maîtres pour légitimer la colère des esclaves. Nous dirions que c’est trop facile de renier ainsi sa participation à l’oppression, que cet accident est le fait de tout un système et qu’illes sont dans le camp de ceux qui font ce système. Nous dirions qu’un-e patron-ne a intérêt à affirmer sa solidarité avec ses ouvrie-re-s pour ne pas se faire lyncher ellui aussi.

Alors quelles sont toutes les « mauvaises » raisons qui peuvent nous pousser à lutter contre le sexisme ?

Il y a certainement cette volonté de se donner une bonne image, de se dire et de dire aux autres qu’on est déconstruits.

Notre participation a une action antisexiste est une façon de montrer et de se montrer que nous on est clean, que nous on est pas comme tous les autres mecs, qu’on est pas des machos. Ça a un côté beaucoup trop facile, parce que, même si on l’a pas demandé on est nés avec des couilles, on a été socialisés comme des mecs et on est forcément un peu machos. Il ne faut pas que ça nous serve à nous dédouaner, à oublier et à faire oublier aux autres qu’il faut toujours garder un regard critique sur la part de construction sexiste de nos comportements.

Il y a aussi cette idée que ne pas participer à l’action contre le sexisme, c’est avoir la crainte de se faire mal voir de ses ami-e-s. Même si on a envie d’affirmer qu’on fait des choix en tant qu’individus en fonction de notre morale, nous devons nous avouer que ça n’est jamais entièrement le cas. Par volonté de simplifier nos rapports aux autres - certes dans un milieu particulier, mais quand même dans celui où nous évoluons - nous avons intérêt à participer aux actions féministes.

Se donner une bonne image, c’est aussi « avoir la classe », se mettre au dessus des autres mecs et donc les dominer sur le mode « regardez, je suis plus antisexiste que vous ». De plus, si on évolue dans un milieu où de nombreuses femmes sont féministes, le fait de se placer « dans leur camp » peut être interprété comme un « regardez les keums, moi j’ai toutes les meufs de mon côté, j’ai plus de chances que vous de les pécho ». Or l’image du chasseur de meufs est un élément important de la construction genrée masculine. Finalement, en montrant qu’on est pas des méchants machos, on montre en même temps qu’on est pas des petites bites. C’est ouf, hein ? Et cette volonté de domination, de se prouver qu’on est « des vrais », n’est-elle pas typiquement une construction masculine ?

Enfin, participer en tant que mecs à une lutte pour les femmes dans laquelle les femmes sont prédominantes, sont plus légitimes, n’est-ce pas une façon de vouloir prendre le contrôle de cette lutte qui nous échappe ? Ça participe du désir de tout contrôler, ne ne pas supporter qu’un truc se fasse sans nous. C’est à mettre en parallèle avec cette aversion plus ou moins déclarée pour le groupe non mixte femme qui est peut-être surtout une expression de la jalousie vis-à-vis des gentes qui agissent sans nous, qui nous excluent de quelque chose. Il y a dans tout ça une volonté de récupération, de réappropriation, de dépossession des femmes de leur lutte.

Bref, on est un peu dans la merde...

Mais bon en même temps, on pense quand même qu’on a sincèrement envie de dépasser un conditionnement masculin qui nous oppresse aussi, qu’on a envie de dépasser notre classe « keum » et qu’il faut bien commencer un jour. On a pas envie d’oppresser des gentes, et ne pas agir contre un système qu’on considère comme oppressant, c’est pire que l’accepter, c’est le perpétuer.

On essaie d’espérer qu’on participe à l’action antisexiste comme des individus libres - même si les individus libres ça n’existe pas. On essaie d’espérer qu’agir collectivement en tant qu’individus et non en tant qu’hommes et que femmes, c’est une tentative de dépassement de cette dichotomie. L’action collective permettrait de nous individualiser. On sait pas si on y croit, mais on croit que si on prend les précautions suffisantes, ça vaut toujours le coup d’essayer.

Sauf qu’on a l’impression que malheureusement l’action antisexiste n’est pas perçue de la même façon si des mecs y participent que si y’a que des femmes, puisque s’il n’y avait que des femmes elles seraient perçues comme des sales féministes reloutes, voire anti-mecs et que leur critique ne serait même pas écoutée. Du coup on ne sera pas seulement perçus en tant qu’individus, on est quand même là en tant que légitimation, de par notre classe de sexe...

Voilà... C’est des questions qu’on se pose et dont on pense qu’il faut tenir compte. Mais elles ne doivent pas non plus nous empêcher d’agir et donc nous obliger à conspirer. Si nous devons avoir une réflexivité, nous sommes avant tout prêts à soutenir l’action des oppressées lorsqu’elles souhaitent notre participation.

Deux couillus

Outils collectifs

Comment ne plus laisser les femmes seules face à des situations de violence ?
Comment réagir collectivement pour aider la femme à sortir de ces violences ?

Briser la séparation public-privé, rompre l’isolement, c’est poser des actes de solidarité collective. C’est faire sentir à la femme qu’elle est soutenue, qu’il y de la force.

Il est important de prendre en compte la spécificité de chaque femme, de voir que toutes les femmes ne sont pas égales, c’est à dire qu’elles n’ont pas subi la même construction, qu’elles n’ont pas les mêmes armes, les mêmes manières ou moyens de réagir. Par exemple, certaines femmes ne souffriront pas d’une main au cul dans un bar, ou enverront chier le mec directement, alors que d’autres ne sauront pas quoi faire et paniqueront.

Nous devons comprendre qu’aider une femme, c’est faire avec elle, et non pour elle ou à sa place. C’est essayer de lui donner de la force, de lui montrer qu’elle est soutenue, de lui permettre de trouver des espaces où elle arrive à réagir. Les questions que nous devons nous poser, c’est aussi : comment on reconnaît la souffrance de l’autre ? Comment on l’accompagne dans sa colère, dans son extériorisation ? Comment on l’aide à sortir tout ça d’elle ? Comment on l’appuie, comment on l’épaule pour qu’elle parvienne à atteindre ses objectifs ? Comment on aide une femme à trouver sa force, à ne plus se sentir faible, à trouver les moyens de riposter ? Bref, comment on transforme le rapport de domination qu’elle subit en rapport de force où elle aussi a des armes ?

Intervenir dans les situations de violence

Bien souvent, quand nous sommes témoin-ne-s de certaines scènes, nous entretenons la séparation entre sphère intime et sphère publique, en faisant comme si ça ne nous regardait pas. Par exemple, si nous observons une situation où un homme fait une scène de jalousie à sa compagne en lui parlant mal, nous pouvons intervenir, lui signifier qu’il dépasse les limites et signifier à la femme que nous la soutenons. Nous pouvons dire « ne lui parle pas comme ça » au lieu de continuer à discuter avec nos ami-e-s comme si nous n’avions rien vu. Nous pouvons accepter de nous mouiller.

Écouter la femme et prendre acte

Puisque souvent la femme ne dit rien, nous pouvons essayer de créer pour elle des espaces de parole où elle puisse exprimer ce qu’elle vit. Ce qui veut dire se montrer attentif-ve-s et non jugeant-e-s. C’est aussi être en mesure de donner à la femme une reconnaissance de ce qu’elle subit, une preuve de crédit : ne pas mettre sa parole en doute, entendre la réalité de sa subjectivité. Ce point devient encore plus crucial quand l’homme en question est proche de nous, et que nous n’avons pas l’impression qu’il ait des comportements machistes. C’est se dire qu’on ne connaît pas forcément l’intimité des personnes, que la façon d’être dans un couple par exemple peut être très différente de la façon d’être en public, que l’homme ne traite pas tout le monde de la même façon, que les rapports de force ne sont pas les mêmes dans toutes les relations. Ça peut-être dialoguer avec la femme en tête à tête ou créer des espaces de discussion en non-mixité femme. Entendre les témoignages d’autres femmes aide aussi à poser des mots sur ce qu’on vit, prendre conscience que le problème n’est pas individuel mais relève d’un système social, que ce qui cloche ce n’est pas que soi-même on est trop faible mais que être femme dans cette société là, ça craint.

Ne pas brusquer la femme quand elle se confie

Il ne sert à rien de lui servir le discours féministe radicale type « quitte le, point final ». Ça ne l’aide pas et lui renvoie l’image qu’elle est faible et qu’elle devrait avoir honte. C’est à nous d’avoir en tête que toute relation affective est complexe, que les sentiments qu’elle engage rendent parfois la rupture difficile, que prendre conscience des violences qu’on subit et de la nécessité d’y réagir est un long processus qui n’a rien d’évident. Que notre rôle est d’épauler la femme et non de faire à sa place ou de l’amener à faire. C’est lui faire sentir qu’on est avec elle, qu’on la soutient mais que ce qu’elle décidera ne dépend que d’elle.

Aider matériellement la femme

Ça veut dire essayer d’éliminer toutes les causes extra-affectives qui font qu’elle n’arrive pas à sortir de ce rapport de domination. Si elle ressent par exemple le besoin de quitter le domicile, c’est trouver des solutions d’accueil et d’hébergement. Ça peut être trouver des moyens de l’aider financièrement, aller chercher ses affaires avec ou sans elle (selon ce qu’elle souhaite), etc.

Porter avec la femme, encadrer les démarches individuelles

Ça veut dire concrètement que la femme n’ait pas à gérer seule des situations de confrontation. Ça peut être l’accompagner quand elle doit régler des choses avec l’homme dont il est question. Par exemple, dans le cas où une femme ne veut ou ne peut pas supporter de voir un homme parce qu’il lui a fait subir des violences, bien souvent c’est la femme qui déserte les espaces collectifs où elle est susceptible de le croiser, ou qui endure d’être en présence de cet homme simplement parce qu’elle ne veut ou ne peut pas céder cet espace. Une solution serait d’aménager des espaces pour cette femme, en disant par exemple à l’homme que sa présence est indésirable et en lui expliquant pourquoi.

Poser un rapport de force

Souvent, les menaces, avertissements, plaintes de l’oppressée ne sont pas entendues par l’oppresseur. Poser clairement un rapport de force, montrer que la femme est soutenue et n’est plus seule permet de lui donner du crédit, de l’aider à poser des limites. C’est montrer à l’homme que ça ne sert plus à rien d’essayer de « calmer » la femme par une quelconque manipulation ou du chantage affectif. C’est signifier à l’homme que les violences qu’il exerce sont sorties du cocon de l’intime. Que nous sommes au courant et prêt-e-s à soutenir la femme. C’est lui dire que clairement, quand la femme dit "je pars", ce ne sont pas des menaces mais une décision posée qui sera suivie d’effets. C’est aussi mettre une pression.

Aider la femme à porter son histoire dans la sphère publique

Ça veut dire lui permettre de trouver un espace public ou son histoire peut exister. Parce que ce n’est pas à elle de vivre dans la honte, dans le silence. Parce que ce n’est pas à elle de porter seule cette histoire. C’est refuser que la barrière de l’intime serve une fois de plus à protéger les hommes violents. Ça peut être sous la forme d’une intervention en public, ou d’une réunion, où nous aidons la femme à exposer les faits, la violence qu’elle a subis. Ça peut être un courrier diffusé dans un milieu, un village, expliquant ce qu’il s’est passé. Il est important que la femme ne soit pas seule à expliquer : c’est aussi à nous de prendre la responsabilité de raconter à l’entourage ce qui s’est passé, au lieu de renvoyer tout le monde aller demander à la femme concernée. C’est trouver des formes où c’est le groupe qui parle, qui expose et non la femme elle-même. Par exemple, c’est écrire une lettre qui dit « nous, groupe de femmes » ou « nous, groupe antisexiste soutenons X ». C’est donner une visibilité au soutien et à la force collective. Parce que souvent, dans les histoires de couple, tout le monde prend tacitement le parti de l’homme : « le pauvre, elle le fait souffrir »... C’est dire en public ce qui se passe réellement. Que non, X n’est pas méchante mais qu’elle a subit des violences. Et c’est dire aussi que, si elle était en colère, ce serait de toute façon légitime.

Garder la mémoire

C’est éviter que deux ans plus tard, un violeur puisse se repointer l’air de rien parce que les gens qui savaient se sont tou-te-s dispersé-e-s, et que ce soit encore à la femme d’aller raconter l’histoire, de revivre la même situation. C’est laisser une trace, assurer un suivi. A la fois que la mémoire de ce qui s’est passé reste dans le milieu et que chacun-e soit prêt-e à revenir ou à réintervenir pour raconter à nouveau l’histoire. C’est rester vigilant-e, exiger une évolution, veiller à ce que les mêmes scènes ne se reproduisent plus, ni avec la même femme, ni avec d’autres.

Se retrouver entre allié-e-s

C’est aussi faire en sorte que le soutien soit politique et non affinitaire. Que la femme puisse sentir une force qui l’entoure parce que c’est juste, et non parce qu’on est ses potes. Par exemple, proposer des réunions non-mixtes où la femme puisse parler à d’autres femmes ; qui ne sont pas forcément des copines mais juste des femmes solidaires.

Donner aux femmes les moyens de leur défense

C’est se poser la question de comment faire pour que ça n’arrive plus. Ça peut être mettre en place des ateliers d’autodéfense verbale ou gestuelle, des mises en situation où les femmes peuvent apprendre ce que leur conditionnement leur refuse : riposter.

Et l’homme dans tout ça ?

Si on décide de gérer collectivement ces situations de violence, il faut également s’interroger sur quels dispositifs on met en place pour accompagner l’homme. En effet, s’il est nécessaire de permettre à la femme d’exprimer ce qu’elle a subi, de l’aider à ce que cela ne se reproduise pas et de l’accompagner dans sa reconstruction, il est nécessaire aussi de suivre l’oppresseur, et ce sur deux plans :

Tout d’abord, pour lui faire comprendre qu’il n’est pas question de le juger et encore moins de le condamner dans sa totalité, mais uniquement de lui faire entendre et reconnaître les violences qu’il a fait subir. Qu’il s’agit de briser le silence non pour l’exclure socialement, mais pour que ce ne soit pas encore une fois la femme qui doive porter toute la charge de ce qu’elle a subi.

Ensuite, il s’agit de l’aider à comprendre pourquoi il a agit comme il l’a fait, quels sont les mécanismes qui sont a l’origine de ses comportements. Il s’agit de susciter ces questionnements et de l’accompagner dans son évolution quant à ses façons de relationner avec les femmes.

Comment faire ? Ça peut être la création d’un groupe de parole, qui pourra être non mixte pour faciliter l’expression, où l’homme en question pourra s’interroger et remettre en question ses comportements. C’est donner un sens politique à l’action non seulement pour la femme, mais aussi pour lui : ne pas se contenter de le « punir » mais l’aider à avancer.


Ces textes ont été écrits dans le stress, la précipitation, l’urgence mais surtout la colère...

La colère d’évoluer dans un milieu qui se prétend déconstruit, révolutionnaire, mais au sein duquel se perpétue le sexisme, sexisme d’autant moins dénonçable que personne ne veut admettre son existence.

Au mois de novembre 2007, des femmes ont commencé à parler de violences sexistes subies dans le milieu anarchiste. Un groupe mixte s’est constitué de façon formelle (sur la base d’un groupe affinitaire préexistant) dans le but d’agir collectivement sur ces violences, à partir des questions suivantes :

Ce groupe a décidé d’intervenir dans des situations de violence particulières, notamment de viol et de violences conjugales. Il a mis en place des confrontations entre agressée et agresseur, des espaces de parole pour réfléchir aux situations de violence rencontrées.

Les textes rassemblés ici ont été distribués à un maximum de personnes dans le milieu anar nancéien, afin de briser le silence et d’amener chacun-e à regarder ce que trop souvent on feint d’ignorer.

Ce que nous voulons, c’est que l’antisexisme cesse de s’arrêter à la dénonciation d’un système abstrait et extérieur à nous, mais qu’il devienne une réalité concrète. Qu’il soit au centre de nos quotidiens, que chacun-e accepte de le regarder en lui/elle-même, chez son ami-e, son amant-e, dans son groupe militant. Et qu’enfin les choses changent.

Nancy Antisexist

P.S.

A ces textes, sur la version Pdf, nous avons ajouté un tract écrit collectivement également et qui fut aussi envoyé dans les boîtes aux lettres du milieu anar nancéien.


Consulté le 2 février 2017 de infokiosques.net