Ratgeb

De la grève sauvage à l’autogestion généralisée

1974

    Contributions à la lutte des ouvriers révolutionnaires, destinées à être discutées, corrigées et principalement mises en pratique sans trop tarder

    CHAPITRE I - LA SOCIETE DE SURVIE

    CHAPITRE II - A B C D DE LA REVOLUTION

    CHAPITRE III - L’AUTOGESTION GENERALISEE

Contributions à la lutte des ouvriers révolutionnaires, destinées à être discutées, corrigées et principalement mises en pratique sans trop tarder

Nous voulons voir la vérité sous forme de résultat pratique.

Les pages qui suivent s’adressent aux ouvriers révolutionnaires, et à nuls autres. Aux ouvriers, car, en dehors des travailleurs impliqués directement dans le processus de production, il n’y a personne qui détienne le pouvoir de briser les reins à l’impérialisme marchand. Aux ouvriers révolutionnaires, car ceux qui restent inféodés aux partis, syndicats, groupuscules, ne font, comme des salauds d’esclaves, que travailler au renforcement du système dominant et de sa misère.

Dans les dix dernières années, des grèves sauvages de plus en plus fréquentes et de plus en plus résolues ont secoué, sans le briser encore, le joug commun de la bourgeoisie et des appareils bureaucratiques. Ce mouvement insurrectionnel latent a dévoilé à la conscience du prolétariat l’emprise croissante que la marchandise exerce sur la vie quotidienne, sur l’ensemble des comportements humains, sur la nature même. Et en même temps, il a fait la preuve de sa force, il a montré dans le miroir de son refus la faiblesse irrémédiable du système marchand et de l’Etat.

Dans le refus apparaissent aussi les approches d’un style de vie en violente opposition avec la survie qui est aujourd’hui la misère du monde la mieux partagée. Ce sont des réactions fragmentaires et souvent confuses, nées de la volonté spontanée d’en finir une fois pour toutes avec le travail, le sacrifice, le spectacle, l’économisme, l’ennui, les contraintes, les séparations ; mais si dispersées et si isolées qu’elles soient, elles jettent les bases d’une société radicalement nouvelle la société d’autogestion généralisée.

La théorie révolutionnaire de l’autogestion généralisée s’est efforcée de donner une plus grande cohérence à l’ensemble des réactions de refus. Elle s’est développée jusqu’à atteindre aujourd’hui le stade où elle doit reprendre place dans le mouvement dont elle est issue, le mouvement insurrectionnel des travailleurs.

La réussite ou l’échec de l’autogestion généralisée dépend désormais de ceux qui dans les usines, les entrepôts, les grands magasins, les transports, les champs, tiennent entre leurs mains le sort de la marchandise ; de ceux qui peuvent détourner, au profit de tous, les biens de la terre et de l’industrie, ou bien continuer contre eux-mêmes et contre tout le prolétariat à laisser le processus marchand étendre sa pollution.

Un changement décisif s’amorce partout. Il suffit de l’accélérer en lui apportant les garanties d’efficacité et de cohérence pratique. Attendre davantage serait un crime, ou pire, une faute historique, dont toute l’eau de la mer ne pourrait effacer le sang.

D’abord, les conditions nous sont favorables. Les techniques, hautement développées, sont à notre portée et pour peu que nous voulions les tourner contre nos exploiteurs, tout est possible et rien n’est utopique. Jamais la survie n’a tant régné et jamais elle n’a suscité tant de révolte. Jamais l’Etat n’a mieux disposé de la force du mensonge et jamais il n’a été si vulnérable à la vérité quotidienne. Jamais le système marchand n’a poussé si loin le conditionnement des hommes à l’argent, au paraître et au pouvoir et jamais il n’a vu se dresser pour le détruire totalement autant de rage raisonnée, autant de créativité et de passion.

Ensuite, si les ouvriers révolutionnaires ne se décident pas à régler leurs affaires eux-mêmes et à mener jusqu’au bout les bouleversements sociaux qu’annoncent les grèves sauvages, les occupations et les détournements d’usine, ceux qui n’ont pas les moyens de la réaliser feront de l’autogestion généralisée un mensonge de plus dans le ciel des idées, et ils joueront les messies descendus sur terre pour prêcher l’organisation du prolétariat, dans la meilleure tradition des Lénine, Trotsky, Mao, Garcia Oliver, Castro, Guevara et autres bureaucrates.

Enfin, il y a trop longtemps que la révolution est aux portes de nos cités d’ennui, de nos villes polluées, de nos palais de stuc. C’en est assez de subir le travail, les chefs, les temps morts, la souffrance, l’humiliation, le mensonge, les flics, les patrons, les gouvernements, l’Etat. L’impatience trop longtemps contenue pousse à la violence aveugle, au terrorisme, à l’autodestruction ; certes nous avons mieux à faire, pour nous sauver nous-mêmes d’une société qui se suicide, que de jouer les kamikases contre un régiment de flics, un quarteron d’évêques ou une brochette de patrons, de généraux et d’hommes d’Etat, mais l’écoulement des heures sans vie est plus terrible que la mort. Notre lutte finale a assez duré. Il nous faut maintenant la victoire !

Les textes ici proposés essaient de répondre aux problèmes que pose le passage d’une société de classes à une société d’autogestion généralisée. La première partie part des refus les plus communs et insiste sur leur signification, car il importe que le familier nous soit le mieux connu si nous voulons que tout ce qui vient de la vie quotidienne y retourne pour l’enrichir en permanence. La deuxième énumère quelques mesures à prendre selon que l’action ouvrière se limite au sabotage et au détournement, s’étend en grève sauvage ou aboutit à l’occupation des lieux de travail. La troisième donne un modèle de ce que pourraient être l’autogestion généralisée et une société fondée sur la satisfaction des volontés et des passions individuelles.

De telles notes sont nécessairement entachées de faiblesses, d’hésitations, voire d’erreurs mais leur radicalité est indiscutable. Elles méritent d’être discutées mais non par ceux qui ne peuvent leur opposer que des critiques abstraites, non par la canaille intellectuelle. Leur seul intérêt, c’est d’être débattues sur le tas, dans les ateliers, quand la colère monte. Alors, expérimentées, corrigées, diffusées par tous les moyens que possèdent patrons, cadres, permanents syndicaux (télex, photocopie, radio, sono, imprimeries), elles permettront vraiment de donner toute sa cohésion à l’élan insurrectionnel, elles éviteront les atermoiements et les lenteurs si souvent funestes dans les premiers moments d’une révolution, elles jetteront à la face des étatistes cette raison dans l’histoire, qu’ils redoutent par-dessus tout quand elle s’exprime dans le prolétariat en armes : « Voilà la société que nous allons construire. Voilà pourquoi nous voulons vous détruire. »

CHAPITRE I - LA SOCIETE DE SURVIE

1. Avez-vous éprouvé au moins une fois le désir d’arriver en retard au travail, ou de le quitter plus tôt ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. Le temps de travail compte double car il est du temps perdu deux fois :

    • comme temps qu’il serait plus agréable d’employer à l’amour, à la rêverie, aux plaisirs, aux passions ; comme temps dont on disposerait librement.

    • comme temps d’usure physique et nerveuse.

  2. Le temps de travail absorbe la plus grande partie de la vie, car il détermine aussi le temps dit « libre », le temps de sommeil, de déplacement, de repas, de distraction. Il atteint ainsi l’ensemble de la vie quotidienne de chacun et tend à la réduire à une succession d’instants et de lieux, qui ont en commun la même répétition vide, la même absence croissante de vraie vie.

  3. Le temps de travail forcé est une marchandise. Partout où il y a marchandise il y a travail forcé, et presque toutes les activités s’apparentent peu à peu au travail forcé : nous produisons, consommons, mangeons, dormons pour un patron, pour un chef, pour l’Etat, pour le système de la marchandise généralisée.

  4. Travailler plus, c’est vivre moins.

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société qui assure à chacun le droit de disposer lui-même du temps et de l’espace ; de construire chaque jour sa vie comme il le désire. (Voir III, 49).

2. Avez-vous éprouvé au moins une fois le désir de ne plus travailler (sans faire travailler les autres pour vous) ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. Même si le travail forcé ne devait produire que des biens utiles tels que habits, nourriture, technique, confort..., il n’en resterait pas moins oppressif et inhumain car :

    • le travailleur serait encore dépossédé de son produit et soumis aux mêmes lois de la course au profit et au pouvoir.

    • le travailleur continuerait de passer au travail dix fois plus de temps qu’il n’est nécessaire à une organisation attrayante de la créativité pour mettre à la disposition de tous cent fois plus de biens.

  2. Dans le système marchand, qui domine partout, le travail forcé n’a pas pour but, comme on veut le faire croire, de produire des biens utiles et agréables pour tous ; il a pour but de produire des marchandises. Indépendamment de ce qu’elles peuvent contenir d’usage utile, inutile ou polluant, les marchandises n’ont pas d’autre fonction que d’entretenir le profit et le pouvoir de la classe dominante. Dans un tel système, tout le monde travaille pour rien et en a de plus en plus conscience.

  3. En accumulant et en renouvelant les marchandises, le travail forcé augmente le pouvoir des patrons, des bureaucrates, des chefs, des idéologues. Il devient ainsi un objet de dégoût pour les travailleurs. Tout arrêt de travail est une façon de redevenir nous-mêmes et un défi à ceux qui nous en empêchent.

  4. Le travail forcé produit seulement des marchandises. Toute marchandise est inséparable du mensonge qui la représente. Le travail forcé produit donc des mensonges, il produit un monde de représentations mensongères, un monde renversé où l’image tient lieu de réalité. Dans ce système spectaculaire et marchand, le travail forcé produit sur lui-même deux mensonges importants :

    • le premier est que le travail est utile et nécessaire, et qu’il est de l’intérêt de tous de travailler ;

    • le deuxième mensonge, c’est de faire croire que les travailleurs sont incapables de s’émanciper du travail et du salariat, qu’ils ne peuvent édifier une société radicalement nouvelle, fondée sur la création collective et attrayante, et sur l’autogestion généralisée.

De fait, vous luttez déjà, consciemment r ou non, pour une société où la fin du travail forcé laisse place à une créativité collective réglée par les désirs de chacun, et à la distribution gratuite des biens nécessaires à la construction de la vie quotidienne. La fin du travail forcé signifie la fin du système où règnent le profit, le pouvoir hiérarchisé, le mensonge général. Il signifie la fin du système spectaculaire-marchand et amorce un changement global de toutes les préoccupations. La recherche de l’harmonie des passions, enfin libérées et reconnues, va succéder à la course à l’argent et aux miettes de pouvoir. (Voir III, 59 à 74).

3. Vous est-il arrivé de ressentir hors du lieu de travail le même dégoût et la même lassitude qu’à l’usine ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. L’usine est partout. Elle est le matin, le train, la voiture, le paysage détruit, la machine, les chefs, la maison, les journaux, la famille, le syndicat, la rue, les achats, les images, la paie, la télévision, le langage, les congés, l’école, le ménage, l’ennui, la prison, l’hôpital, la nuit. Elle est le temps et l’espace de la survie quotidienne. Elle est l’accoutumance aux gestes répétés, aux passions refoulées et vécues par procuration, par images interposées.

  2. Toute activité réduite à la survie est un travail forcé ; tout travail forcé transforme le produit et le producteur en objet de survie, en marchandise.

  3. Le refus de l’usine universelle est partout puisque le sabotage et le détournement se répandent partout chez les prolétaires et leur permettent de prendre encore du plaisir à flâner, à faire l’amour, à se rencontrer, à se parler, à boire, à manger, à rêver, à préparer la révolution de la vie quotidienne en ne négligeant rien des joies de n’être pas tout à fait aliénés.

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où les passions soient tout, l’ennui et le travail rien. Survivre nous a jusqu’aujourd’hui empêchés de vivre ; il s’agit maintenant de renverser le monde à l’envers ; de prendre appui sur les moments authentiques, condamnés à la clandestinité et à la falsification dans le système spectaculairemarchand : les moments de bonheur réel, de plaisir sans réserve, de passion. (Voir III, 47 à 58).

4. Avez-vous déjà eu l’intention de vous servir de votre machine pour fabriquer un objet dont vous avez l’usage en dehors de l’usine ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. La machine produit des effets opposés selon qu’elle est employée au profit d’un patron et de l’Etat, ou selon qu’elle est employée par le travailleur à son profit immédiat.

  2. Le principe du détournement consiste à tourner contre l’ennemi les techniques et les armes qu’il emploie contre nous.

  3. Le contraire du travail forcé, c’est la création individuelle et collective. Les prolétaires aspirent à créer leurs propres conditions de vie pour cesser d’être des prolétaires. Hors de quelques rares moments révolutionnaires, cette créativité est restée jusqu’à présent clandestine (usage des machines, bricolage, expérimentation, recherche de passions ou de sensations nouvelles).

  4. La passion de la créativité veut être tout. Comme destruction du système marchand et comme construction de la vie quotidienne, elle est la passion qui contient toutes les autres. Le détournement des techniques au profit de la création faite par tous est donc la seule façon d’en finir avec le travail et les séparations qu’il répercute partout (manuelintellectuel, travail-loisir, théorie-pratique, individu-société, être-paraître...).

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où les dépôts, les centres de distribution, les usines, les techniques appartiendront aux assemblées de grève, puis à l’ensemble des individus groupés en assemblées d’autogestion. (Voir III, 1 à 20).

5. Vous arrive-t-il de saboter volontairement des pièces en cours d’usinage ou déjà stockées ?

Si oui, vous avez compris que :

  1. La lutte des ouvriers contre la marchandise est le vrai point de départ de la révolution. Elle fait apparaître clairement comment le plaisir d’être soi et de jouir de tout passe par le plaisir de détruire de façon totale ce qui nous détruit chaque jour.

  2. La marchandise est le coeur d’un monde sans coeur ; elle est la force et la faiblesse du pouvoir hiérarchisé, de l’Etat et de sa bureaucratie. La liberté et le bonheur individuels de tous exigent non seulement qu’on lui porte des coups mais bien plutôt qu’on l’anéantisse définitivement et totalement (par exemple, le simple sabotage des marchandises ne suffit pas puisque l’usure prématurée des produits lancés sur le marché aide en fin de compte le capitalisme privé et le capitalisme d’Etat - U.R.S.S., Cuba, Chine... - à accélérer le renouvellement des achats et le renouvellement des idéologies ; qu’elle améliore ainsi l’accumulation de la marchandise et l’accumulation de ses représentations et des attitudes sociales qu’elle impose).

  3. Dans la mesure où le sabotage est une façon de bâcler le travail, il a le mérite d’épargner de l’énergie et d’encourager à ne plus travailler.

  4. Si insuffisant qu’il soit, le sabotage des produits finis est une réaction saine. Il traduit le mépris de l’ouvrier pour la marchandise et pour le rôle d’ouvrier, c’est-à-dire pour l’attitude liée aux idées de travail nécessaire, de travail bien fait et autres conneries, que la société dominante lui impose.

  5. Le refus du rôle d’ouvrier va de pair avec le refus du travail et de la marchandise. Il a toutes les chances de s’étendre au refus de tous les rôles, de tous les comportements qui font agir chacun non en fonction de ses désirs et de ses passions mais en fonction d’images, bonnes ou mauvaises, qui lui sont imposées et qui sont le mensonge par lequel la marchandise se donne à voir. Faites la part de ce qui reste de vous quand vous accumulez sur une journée des rôles comme celui de père de famille, d’époux, d’ouvrier, d’automobiliste, de militant, de téléspectateur, de consommateur...

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où les séparations disparaissent à mesure que le travail disparaît ; où chacun peut enfin être totalement vrai parce qu’il cesse de produire la marchandise et son mensonge (le monde inversé où les reflets sont plus importants que l’authentique). (Voir III, 69, 90).

6. Tout en sabotant la production, éprouvez-vous le désir de vous amuser à saboter les réseaux répressifs (appareil bureaucratique, flics, cadres de maîtrise, information, urbanisme) ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. Le système marchand sait fort bien récupérer à sou profit le sabotage partiel de la marchandise. Le sabotage limité au sabotage des produits ne détruit pas le système marchand car la mauvaise qualité obtenue s’ajoute seulement à l’usure prématurée déjà prévue par les patrons pour provoquer le renouvellement accéléré des achats. De plus, le sabotage, comme acte terroriste, renouvelle le stock d’images du spectacle en y apportant les indispensables images négatives (l’odieux-saboteur, l’affreux-incendiaire-d’entrepôts...).

  2. Ce qui permet la transformation d’un produit en marchandise et l’extension du processus marchand à toutes les activités sociales, c’est le travail forcé et les forces qui le protègent et le maintiennent : l’Etat, les syndicats, les partis, la bureaucratie, le spectacle, c’est-à-dire l’ensemble des représentations au service de la marchandise et marchandises elles-mêmes (idéologies, culture, rôles, langage dominant).

  3. La destruction de la marchandise par la liquidation du travail forcé est donc inséparable de la liquidation de l’Etat, de la hiérarchie, de la contrainte, de l’incitation au sacrifice, du mensonge et de ceux qui organisent le système de la marchandise généralisée. S’il n’attaque pas en même temps la production de la marchandise et ce qui la protège, le sabotage reste partiel et inopérant ; il devient ce terrorisme, qui est le désespoir de la révolution et la fatalité autodestructrice de la société de survie.

  4. Tout ce qui ne peut être détourné au profit des révolutionnaires doit être détruit par le sabotage. Tout ce qui entrave le détournement doit être détruit.

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où l’Etat et toute forme de pouvoir hiérarchisé auront disparu et laisseront place à des assemblées d’autogestion disposant des forces productives et des biens à distribuer gratuitement, et qui mettront fin à tout danger de reconstituer le système marchand. (Voir 27 à 39).

7. Avez-vous déjà éprouvé le désir de ne plus lire de journaux et de briser votre téléviseur ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. Les journaux, la radio, la télévision sont les véhicules les plus grossiers du mensonge. Non seulement ils éloignent chacun des vrais problèmes - du « comment vivre mieux ? » qui se pose concrètement chaque jour -, mais en plus ils poussent chaque individu en particulier à s’identifier à des images toutes faites, à se mettre abstraitement à la place d’un chef d’Etat, d’une vedette, d’un assassin, d’une victime, bref à réagir comme s’il était un autre. Les images qui nous dominent, c’est le triomphe de ce qui n’est pas nous et de ce qui nous chasse de nous-mêmes ; de ce qui nous transforme en objets à classer, étiqueter, hiérarchiser selon le système de la marchandise universalisée.

  2. Il existe un langage au service du pouvoir hiérarchisé. Il n’est pas seulement dans l’information, la publicité, les idées toutes faites, les habitudes, les gestes conditionnés mais aussi dans tout langage qui ne prépare pas la révolution de la vie quotidienne, dans tout langage qui n’est pas mis au service de nos plaisirs.

  3. Le système marchand impose ses représentations, ses images, son sens, son langage chaque fois que l’on travaille pour lui, c’est-à-dire la plupart du temps. Cet ensemble d’idées, d’images, d’identifications, de conduites déterminées par la nécessité d’accumulation et de renouvellement de la marchandise forme le SPECTACLE où chacun joue ce qu’il ne vit pas réellement et vit faussement ce qu’il n’est pas. C’est pourquoi le rôle est un mensonge vivant, et la survie un malaise sans fin.

  4. Le spectacle (idéologies, culture, art, rôles, images, représentations, motsmarchandises) est l’ensemble des conduites sociales par lesquelles les hommes entrent dans le système marchand, y participent contre eux-mêmes en devenant des objets de survie - des marchandises -, en renonçant au plaisir de vivre réellement pour eux et de construire librement leur vie quotidienne.

  5. Nous survivons dans un ensemble d’images auxquelles nous sommes poussés à nous identifier. Nous agissons de moins en moins par nous-mêmes et de plus en plus en fonction d’abstractions qui nous dirigent selon les lois du système marchand (profit et pouvoir).

  6. Les rôles ou les idéologies peuvent être favorables ou hostiles au système dominant, cela importe peu puisqu’elles restent dans le spectacle, dans le système dominant. Seul ce qui détruit la marchandise et son spectacle est révolutionnaire.

De fait, vous en avez assez du mensonge organisé, de la réalité inversée, des grimaces qui singent la vraie vie et achèvent de l’appauvrir. Vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où le droit de communication réelle appartienne à tous, où chacun puisse faire connaître ce qui le concerne grâce à la libre disposition des techniques (imprimeries, télécommunications), où la construction d’une vie passionnante liquide la nécessité de tenir un rôle et d’accorder plus de poids à l’apparence qu’au vécu authentique. (Voir III, 40 à 46).

8. Vous arrive-t-il d’éprouver le sentiment désagréable qu’en dehors de rares moments vous ne vous appartenez pas, vous devenez étranger à vous-même ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. A travers chacun de nos gestes - mécanisés, répétés, séparés les uns des autres - le temps s’émiette et, morceau par morceau, nous arrache à nous-mêmes. Et ces temps morts se reproduisent et s accumulent en travaillant et en nous faisant travailler pour la reproduction et l’accumulation des marchandises.

  2. Le vieillissement n’est rien d’autre aujourd’hui que l’accroissement des temps morts, du temps où la vie se perd. C’est pourquoi il n’y a plus ni jeunes ni vieux mais des individus plus ou moins vivants. Nos ennemis sont ceux qui croient et font croire que le changement global est impossible, ce sont les morts qui nous gouvernent et les morts qui se laissent gouverner.

  3. Nous travaillons, mangeons, lisons, dormons, consommons, prenons des loisirs, absorbons de la culture, recevons des soins, et ainsi nous survivons comme des plantes d’appartement. Nous survivons contre tout ce qui nous incite à vivre. Nous survivons pour un système totalitaire et inhumain - une religion de choses et d’images - qui nous récupère presque partout et presque toujours pour augmenter les profits et les pouvoirs en miettes de la classe bureaucratico-bourgeoise.

  4. Nous serions simplement ce qui fait survivre le système marchand si parfois nous ne redevenions soudain nous-mêmes, si nous n’étions saisis par l’envie de vivre passionnément. Au lieu d’être vécus par procuration, par images interposées, les moments authentiquement vécus et le plaisir sans réserve, allié au refus de ce qui l’entrave ou le falsifie, sont autant de coups portés au système spectaculaire-marchand. Il suffit de leur donner plus de cohérence pour les étendre, les multiplier et les renforcer.

  5. En créant passionnément les conditions favorables au développement des passions, nous voulons détruire ce qui nous détruit. La révolution est la passion qui permet toutes les autres. Passion sans révolution n’est que ruine du plaisir.

De fait, vous en avez assez de traîner de temps morts en contraintes. Et vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société dont la base ne sera plus la course au profit et au pouvoir mais la recherche et l’harmonisation des passions à vivre. (Voir III, 75 à 92).

9. Avez-vous déjà éprouvé le désir de détruire par le feu une usine de distribution (supermarché, magasin à grande surface, entrepôt) ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. La vraie pollution est la pollution par la marchandise universalisée, étendue à tous les aspects de la vie. Chaque marchandise exposée dans un supermarché est l’éloge cynique de l’oppression salariale, du mensonge qui fait vendre, de l’échange, du chef et du flic qui servent à les protéger.

  2. L’exposition des marchandises est un moment de la survie et la glorification de sa misère éloge de la vie perdue en heures de travail forcé ; des sacrifices consentis pour acheter de la merde (nourriture trafiquée, gadgets, voitures-cercueils, cages d’habitation, objets conçus pour se déglinguer...) ; des refoulements ; des plaisirs-angoisse ; des images dérisoires proposées en échange d’une absence de vraie vie et achetées par compensation.

  3. L’incendie d’un grand magasin n’est qu’un acte terroriste. En effet, puisque la marchandise est conçue pour se détruire elle-même et être remplacée, l’incendie ne détruit pas le système marchand mais y participe avec seulement trop de brutalité. Or il ne s’agit pas que la marchandise nous détruise en se détruisant elle-même. Il faut la détruire totalement pour construire l’autogestion généralisée.

De fait, vous en avez assez des décors de l’ennui et du voyeurisme ; d’un monde où ce qui se voit empêche de vivre et où ce qui empêche de vivre se donne à voir comme caricature abstraite de vie. Et vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où la vraie fin de la marchandise est dans le libre usage des produits créés par la fin du travail forcé. Contre le travail qui interdit l’abondance et en produit seulement le reflet mensonger, nous voulons l’abondance qui invite à la créativité et aux passions. (Voir III 47 à 58).

10. Avez-vous déjà éprouvé le désir d’emporter de l’usine ou d’un magasin tel ou tel objet, pour la bonne raison que vous avez participé à sa production ou pour la raison, meilleure encore, que vous en avez besoin ou envie ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. Ce n’est pas voler que reprendre son bien. Les seuls voleurs sont les serviteurs du système marchand et les hommes de main de l’Etat : patrons, bureaucrates, policiers, magistrats, sociologues, urbanistes, idéologues. C’est parce que nous tardons à les condamner pratiquement à la disparition qu’ils osent encore condamner légalement un ouvrier qui prend dans une usine ou un magasin ce dont il a besoin.

  2. Un produit industriel ou agricole n’a d’intérêt que s’il sert librement aux satisfactions de chacun. C’est un crime contre le droit à la jouissance que de le transformer en marchandise, en élément d’échange et de spectacle.

  3. La condition nécessaire pour qu’un objet dérobé au processus marchand n’y retourne pas, c’est évidemment qu’il ne soit ni revendu, ni approprié à titre privé, ni échangé coutre une part d’argent ou de pouvoir (voler pour jouer au caïd, pour tenir un rôle, c’est toujours reproduire le processus spectaculaire-marchand, qu’il soit ou non toléré par l’Etat).

  4. La condition pour qu’un objet, ou une attitude, ne soit pas récupéré par le système marchand, c’est de l’employer contre lui, de le tourner contre la marchandise saisie dans son propre mouvement (ce mouvement qui transforme un produit en marchandise va de l’objet concret à sa représentation abstraite, et sa représentation abstraite est à son tour concrétisée en divers conditionnements d’attitudes sociales - les rôles).

  5. La destruction complète de la marchandise ne peut se faire que par le détournement collectif des biens industriels et agricoles au profit de l’autogestion généralisée et par l’autogestion généralisée.

De fait, vous en avez assez de passer par la soumission à l’argent et aux rôles pour obtenir en échange les biens nécessaires à un semblant de vie. Vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où la gratuité et le don soient les seuls rapports sociaux possibles. (Voir III 54, 55, 56).

11. Avez-vous déjà participé au pillage d’une usine de distribution (super-marché, grand magasin, discount) ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. La reprise individuelle des biens volés par l’Etat et par le patronat retombe dans le processus marchand si elle ne se transforme pas en une action collective et en une liquidation totale du système (si sympathique que le geste soit, il ne suffit pas de reprendre les biens, il faut aussi reprendre l’espace et le temps volés).

  2. Le pillage est une réaction normale à la provocation marchande (voyez les inscriptions « offre gratuite », « libre-service », etc.). Comme l’incendie dit criminel, il n’est qu’un avatar du système. De même que le système marchand s’accommode d’un certain pourcentage de vols dans les grands magasins et les usines, de même il s’accommodera aussi d’un certain pourcentage de mises à sac, et il calculera son autorégulation en fonction de ces « accidents » prévisibles et programmables. Le fait est si évident qu’un représentant de la loi, le juge Kinnard, juge unique au tribunal correctionnel de Liège a refusé, le 12 septembre 1973, de sanctionner pénalement des vols à l’étalage, avec les remarquables attendus suivants : « Les vols à l’étalage dans les magasins organisés en libre service sont la conséquence inéluctable et d’ailleurs prévue dans les charges d’exploitation de ce genre de commerce où les publicités tapageuses et les tentations multiples scientifiquement étalées forment pour les consommateurs une provocation à acheter bien au-delà, soit de leurs besoins, soit de leurs possibilités d’achats. Les vols à l’étalage ne dénotent généralement pas dans le chef de leur auteur une mentalité ou une attitude qui mériterait d’être sanctionnée pénalement. » Ce qui fera sans doute jurisprudence.

  3. Si, dans le pillage, chacun s’approprie des biens comme s’ils devenaient sa propriété privée, la marchandise reparaît et le système se renouvelle (dans ce cas, mieux vaut tout détruire : on assure au moins la disparition de 90 % de merdes).

  4. Sans la conscience de l’autogestion généralisée, le pillage n’est au mieux qu’un mode de distribution incohérent. Il est un acte séparé des conditions révolutionnaires où la collectivité, qui crée les biens, les distribue directement à ses membres. Il risque, dès lors, en débouchant sur la disette et le manque de produits utiles, d’engendrer la confusion dans les esprits et de provoquer un retour aux mécanismes de la distribution marchande.

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où la production non salariée et la distribution gratuite des biens sont rendues possibles par la suppression de la propriété et le regroupement des producteurs en assemblées d’autogestion. C’est là que la volonté de chacun se manifeste par la voix de délégués contrôlés et révocables à tout instant. Ces délégués dressent le bilan des biens disponibles et harmonisent les offres de création productives et les demandes individuelles, en sorte que l’abondance s’installe de façon progressive et irréversible. (Voir III 1 à 10).

12. A la première occasion, avez-vous l’intention de casser la gueule à votre chef ou à quiconque vous traite en subordonné ?

Si oui, vous avez compris que :

  1. Devenir un chef, c’est cesser d’être humain. Le chef est l’emballeur et l’emballage de la marchandise. Hors du système marchand, il est sans usage. Comme les marchandises, il se reproduit et s’accumule ; il se mesure en quantité de pouvoir, de haut en bas de la hiérarchie. Et son pouvoir, il le tient du pouvoir que le spectacle exerce comme volonté économique et comme représentation sociale sur la plus grande partie de la vie quotidienne.

  2. Plus le pouvoir s’émiette et s’étend partout, plus il se renforce et s’affaiblit. Plus il y a de chefs, plus ils sont impuissants. Plus ils sont impuissants et plus la machine bureaucratique tourne à vide, plus elle impose à tous l’apparence de sa toute-puissance, et plus les gens apprennent à refuser globalement la servitude.

  3. Partout où il y a autorité, il y a sacrifice, et inversement. Le chef et le militant sont la même pierre d’achoppement de la révolution, le point où elle se renverse et devient le contraire de l’émancipation.

  4. L’acte terroriste qui consiste à liquider, dos à dos, d’une même balle, bureaucrate et patron ne change rien aux structures et ne fait qu’accélérer lé renouvellement des cadres dirigeants. Pour liquider l’Etat et les organisations hiérarchisées, qui le reproduisent tôt ou tard, il faut anéantir le système marchand.

  5. L’Etat est le régulateur, le centre nerveux et le réseau protecteur de la marchandise. Il s’efforce d’équilibrer les contradictions économiques, d’ordonner politiquement le travail social en droits et devoirs du citoyen, d’organiser le battage idéologique et les mécanismes répressifs qui transforment chaque individu en serviteur du système marchand.

  6. La collusion de l’État et de la marchandise peut s’estimer au premier coup d’oeil à la rapidité d’intervention des flics (et des milices patronales et syndicales) dès qu’une grève sauvage éclate.

De fait, vous luttez déjà pour une société sans contrainte ni sacrifice, où chacun est son propre maître, et vit en de telles conditions qu’il n’a jamais à traiter un autre homme en esclave ; une société sans classes, où le pouvoir délégué aux conseils s’exerce sous le regard permanent et par la volonté de chaque individu en particulier. (Voir III 28, 29).

13. Vous réjouissez-vous à la pensée du jour prochain où l’on pourra traiter comme des êtres humains les flics qu’il n’aura pas été nécessaire d’abattre sur place ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. Le flic est le chien de garde du système marchand. Où le mensonge de la marchandise ne suffit pas pour imposer l’ordre, il sort casqué de la cuisse de la classe ou de la caste bureaucratique dominantes.

  2. Sans compter le mépris qu’il se porte, le flic est méprisé comme tueur salarié, comme valet de tous les régimes, comme esclave professionnel, comme marchandise de protection, comme clause répressive du contrat économico-social imposé par l’Etat aux citoyens.

  3. Partout où il y a Etat, il y a flics. Partout où il y a flics - à commencer par le service d’ordre des manifestations contestataires - il y a l’Etat ou ses ébauches.

  4. Toute hiérarchie est policière.

  5. Abattre un flic est un passe-temps pour candidats au suicide. Il ne faut s’y résoudre que dans l’autodéfense, dans le mouvement général de liquidation de tout pouvoir hiérarchique.

  6. Le bonheur n’est possible que là où l’Etat a cessé d’exister ; où aucune condition de hiérarchisation n’en prépare le retour.

De fait, vous en avez assez du contrôle et de la contrainte, du flic qui vous rappelle que vous n’êtes rien et que l’Etat est tout, du système qui crée les conditions du crime illégal et légalise le crime des magistrats qui le répriment. Vous luttez déjà pour une harmonisation des intérêts passionnels (par la disparition des intérêts économiques et spectaculaires) et pour l’organisation des rapports entre individus par l’abondance des rencontres et la libre diffusion des désirs. (Voir III 11 à 18).

14. Avez-vous déjà prouvé le désir de jeter votre fiche de paie à la tête du caissier ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. Le salariat réduit l’individu à un chiffre d’affaire. Du point de vue capitaliste, le salarié n’est pas un homme mais un indice dans le coût de production et un certain taux d’achat à la consommation.

  2. Le salariat est la base de l’exploitation globale aussi clairement que le travail aliéné et la production de marchandises sont la base du système spectaculaire-marchand. L’améliorer, c’est améliorer l’exploitation du prolétariat par la classe bureaucraticobourgeoise. On peut seulement le supprimer.

  3. Le salariat exige le sacrifice de plus de huit heures de vie pour huit heures de travail, échangées contre une somme d’argent qui ne couvre qu’une petite partie du travail fourni, le reste constituant le profit du patron. Et cette somme doit être à son tour échangée contre des produits pollués et trafiqués, des équipements ménagers payés dix fois leur prix, des gadgets aliénants (la voiture qui permet de travailler, de consommer, de polluer, de détruire le paysage, de gagner du temps vide et de se tuer) ; sans compter les redevances à l’Etat, aux spécialistes, aux rackets syndicaux...

  4. Il est faux de croire que les revendications de salaire peuvent mettre en danger le capitalisme privé ou d’Etat : le patronat n’accorde aux ouvriers que l’augmentation nécessaire aux syndicats pour démontrer qu’ils servent encore à quelque chose ; et les syndicats n’exigent du patronat (qui dispose en outre de l’augmentation des prix à la consommation) que des sommes qui ne mettent pas en péril un système dont ils sont les profiteurs en second.

De fait, vous en avez assez de vivre la plus grande partie du temps en fonction de l’argent, d’être réduit à la dictature de l’économique, de survivre sans avoir le loisir de vivre passionnément. Vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une répartition des biens utiles qui ne doive plus rien à la course au profit et qui réponde aux besoins réels des gens. (Voir III 31, 34, 35, 40, 51, 52).

15. Vous arrive-t-il de cracher sur le curé qui passe ? D’avoir envie de brûler une église, un temple, une mosquée, une synagogue ?

Si oui, vous avez compris que :

  1. La religion est l’opium de la créature opprimée.

  2. Toute religion appelle au sacrifice, tout ce qui appelle au sacrifice est religieux (les militants, par exemple).

  3. La religion est le modèle universel du mensonge, le renversement du réel au profit d’un monde mythique, qui deviendra, une fois désacralisé, le spectacle de la vie quotidienne.

  4. Le système marchand désacralise ; il détruit l’esprit religieux et ridiculise ses gadgets (pape, coran, bible, crucifix...) mais en même temps, il le conserve comme une incitation permanente à préférer l’apparence au réel, la souffrance au plaisir, le spectacle au vécu, la soumission à la liberté, le système dominant aux passions. Le spectacle est la religion nouvelle et la culture est son esprit critique.

  5. Les symboles religieux attestent la permanence du mépris que les régimes hiérarchiques de tous les temps ont porté aux hommes. Pour ne prendre qu’un exemple, le Christ...

Au premier rang des succursales de produits divins, les Eglises chrétiennes ont adopté sous la pression du processus marchand une exhibition contorsionniste qui 11e verra sa fin qu’avec la disparition complète de son label publicitaire, le caméléon Jésus. Fils de dieu, fils de putain, fils de pucelle, faiseur de miracles et de petits pains, pédéraste et puritain, militant et membre du service d’ordre, accusateur et accusé, homme de peine et astronaute, il n’est aucun rôle qui ne soit à la portée de l’étonnant guignol. On l’a vu en marchand de souffrances, en commis des grâces, en sans-culotte, en socialiste, en fasciste, en antifasciste, en stalinien, en barbudo, en reichien, en anarchiste. Il a été de toutes les enseignes, sur tous les drapeaux, de tous les mépris de soi, des deux côtés de la trique, de la plupart des exécutions capitales, où il tient aussi bien dans la main du bourreau que dans celle du condamné. Il a sa place dans les commissariats, les prisons, les écoles, les bordels, les casernes, les magasins à grande surface, les aires de guérilla. Il a servi de pendentif, de poteau indicateur, d’épouvantail pour garder les morts en paix et les vivants à genoux, de torture et de régime amaigrissant ; il servira de godemiché quand les marchands de saints prépuces auront réhabilité commercialement le péché. Pauvre Mahomet, pauvre Bouddha, pauvre Confucius, tristes représentants de firmes concurrentes et sans imagination ni dynamisme, Jésus l’emporte sur tous les fronts. Jésus-Christ super-drogue et super-star toutes les images du vendu à dieu en promotion-vente de dieu.

La peau de couille de grand-papa-personne tirée à trois épingles et montée en amulette est le symbole le plus accompli de l’homme comme marchandise universelle.

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où aura disparu l’organisation de la souffrance et de ses compensations, où chacun étant son propre maître l’idée de dieu n’aura plus de sens, où surtout les problèmes du vécu authentique et des passions à satisfaire l’emporteront définitivement sur les problèmes de la vie inversée et des passions à refouler. (Voir III 75 à 92).

16. Etes-vous écoeuré par la destruction systématique de la campagne et du paysage urbain ?

Dans ce cas, vous comprenez que :

  1. L’urbanisme est l’appropriation du territoire par le système marchand et ses polices.

  2. La misère du décor spectaculaire est le décor de la misère générale.

  3. Urbaniste = sociologue = idéologue = flic.

  4. Pour le système dominant, il n’y a plus ni paysage, ni nature, ni rue à flâner mais rentabilité du m2 ; plus-value de prestige par le maintien d’un cadre de verdure, d’arbres ou de rocailles ; expulsions et regroupements hiérarchisés de la population ; quadrillage policier des quartiers populaires ; habitat étudié pour conditionner à l’ennui et à la passivité.

  5. Le pouvoir n’essaie même plus de dissimuler le fait que l’aménagement du territoire est principalement et directement conçu en fonction d’une prochaine guerre civile : les routes sont renforcées en prévision du passage des chars ; les tours et les ensembles nouvellement construits abritent des caméras qui transmettent à la préfecture, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une vue panoramique des rues ; dans les immeubles modernes, des « chambres de tir » sont prévues à l’usage des tireurs d’élite de la police.

  6. Le regard que le système dominant porte sur tout transforme tout en marchandise. L’idéologie est l’oeil artificiel du pouvoir, celui qui permet de voir vivant ce qui est déjà mort, ce qui est déjà transformé en marchandise.

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où votre volonté d’échapper à l’urbanisme et aux idéologies se traduira par la liberté d’organiser selon vos passions l’espace et le temps de votre vie quotidienne, de construire vos propres lieux d’habitation, de pratiquer le nomadisme, de rendre les villes passionnantes et ludiques. (Voir III 93 à 98).

17. Eprouvez-vous le désir de faire l’amour - non par habitude mais passionnément - à votre partenaire, au premier ou à la première venue, à votre fille, à vos parents, à vos amis et amies, à vos frères et soeurs ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. Il faut en finir avec les réserves imposées à l’amour, qu’il s’agisse de tabous, de convenances, d’appropriation, de contrainte, de jalousie, de libertinage, de viol, de toutes les formes d’échange qui, du scandinavisme à la prostitution, transforment l’art d’aimer en rapports entre choses.

  2. Vous en avez assez du plaisir mêlé d’angoisse ; de l’amour vécu de façon incomplète, déformée ou inauthentique ; du baisage par procuration et images interposées ; de la fornication mélancolique ; des orgasmes débiles ; des rapports hygiéniques ; des passions engorgées, refoulées et mettant à se détruire l’énergie qu’elles mettraient à se réaliser dans une société qui favoriserait leur harmonisation.

  3. Tout le monde recherche, en se l’avouant ou non, l’amour-passion multiple et unitaire. Nous voulons créer socialement les conditions historiques d’une aventure passionnelle permanente, d’une jouissance sans autre limite que l’épuisement des possibles, d’un jeu où le plaisir et le déplaisir redécouvrent leur positivité (par exemple dans la naissance et dans la fin d’une liaison amoureuse libre).

  4. L’amour est inséparable de la réalisation individuelle, de la communication entre les individus (des possibilités de rencontres), de la participation authentique et passionnelle à un projet commun. Il est inséparable de la lutte pour l’autogestion généralisée.

  5. Il n’y a pas de plaisir qui ne découvre son sens dans la lutte révolutionnaire et de même, la révolution n’a pas d’autre but que de réaliser tous les plaisirs dans leur libre développement.

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où le maximum de possibilités sera socialement agencé pour multiplier les regroupements libres et changeants entre gens attirés par les mêmes activités, les mêmes plaisirs ; où les attractions fondées sur le goût de la variété, de l’enthousiasme, des jeux tiendront compte aussi bien des accords que des désaccords et des écarts. (Voir III 75 à 92).

18. Vous arrive-t-il de vous sentir mal dans votre peau chaque fois que les circonstances dominantes vous obligent à tenir un rôle ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. Il n’y a de plaisir total qu’à devenir ce que l’on est, qu’à se réaliser comme homme de désirs et de passions. Au contraire, les relations sociales, organisées comme spectacle de la vie quotidienne, imposent à chacun de se conformer à une série d’apparences et de comportements inauthentiques ; elles incitent à s’identifier à des images, à des rôles.

  2. Les rôles sont la misère faussement vécue qui compense la misère vécue réellement. Les rôles (de chef, de subordonné, de père ou mère de famille, d’enfant soumis ou révolté, de contestataire, de conformiste, d’idéologue, de séducteur, d’homme de prestige, de théoricien, d’activiste, de pédant cultivé, etc.) obéissent tous à la loi d’accumulation et de reproduction des images dans l’organisation spectaculaire de la marchandise. Et en même temps, ils dissimulent et entretiennent l’impuissance réelle des individus à changer réellement leur vie quotidienne, à la rendre passionnante, à la vivre comme un ensemble de passions harmonisées.

  3. Le refus des rôles passe par le refus des conditions dominantes (il est bon de se souvenir que le rôle peut aussi servir de protection, ainsi le rôle de bon ouvrier, couvrant des activités de sabotage et de détournement).

  4. Il ne s’agit pas de changer de rôle mais de liquider le système qui contraint à se jouer de soi contre sa propre volonté. La lutte révolutionnaire est la lutte pour la vie authentiquement vécue.

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour le droit à l’authenticité, pour la fin des dissimulations et des mensonges imposés, pour le droit d’affirmer la spécificité de chacun sans le juger ni le condamner mais au contraire en lui permettant de donner libre cours à ses désirs et à ses passions, si singulières soient-elles. Vous luttez pour une société où la vérité sera pratique et de chaque instant. (Voir III 11 à 18, 40 à 46).

19. Eprouvez-vous une méfiance instinctive pour tout ce qui est intellectuel et pousse à l’intellectualisation ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. La fonction intellectuelle est, avec la fonction manuelle, le résultat de la division sociale du travail. La fonction intellectuelle est une fonction de maître, la fonction manuelle une fonction d’esclave. L’une et l’autre sont également méprisables et nous les abolirons en abolissant la division du travail et la société de classes.

  2. Dans la lutte de la bourgeoisie révolutionnaire contre la classe féodale et l’esprit religieux, la culture a été une arme de libération partielle, une arme de démystification. Quand la bourgeoisie est devenue à son tour une classe dominante, la culture a gardé pour un temps sa forme révolutionnaire. Des intellectuels comme Fourier, Marx, Bakounine ont tiré des revendications prolétariennes, exprimées dans les grèves et les émeutes, une théorie radicale qui, prise en conscience et pratiquée par les ouvriers, aurait pu liquider rapidement la bourgeoisie.

  3. Au contraire, les penseurs spécialisés du prolétariat - intellectuels ouvriéristes et ouvriers intellectualisés - en jouant les tribuns, les hommes politiques, les guides de la classe ouvrière, ont transformé la théorie radicale en idéologie, c’est-à-dire en mensonge, en idées au service des maîtres. Le socialisme et les variétés de jacobinisme (blanquisme, bolchevisme...) ont été ce mouvement qui annonce la dictature bureaucratique sur le prolétariat, telle qu’elle apparaît avec tous les partis dits ouvriers, les syndicats et les organisations gauchistes.

  4. Les intellectuels sont l’armée de réserve de la bureaucratie, qu’il s’agisse d’intellectuels ouvriéristes ou d’ouvriers intellectualistes.

  5. La culture est aujourd’hui la forme d’intégration intellectuelle au spectacle, le label de qualité qui fait vendre toutes les marchandises, l’initiation au monde inversé de la marchandise. Sous le prétexte de la nécessité de s’instruire, la culture récupère le besoin de connaissance pratique et le transforme en savoir séparé ; elle impose une plus-value de savoir abstrait, une compensation au vide de la survie quotidienne, une promotion dans la bureaucratie des spécialistes. Parce qu’elle est un savoir qui se veut sans emploi, elle finit toujours par servir le système spectaculaire-marchand.

  6. En particulier, le prétendu savoir économique est une mystification bureaucratico- bourgeoise. Il n’a de sens que dans l’organisation capitaliste de l’économie, et encore ! Une fois celle-ci abolie, chaque ouvrier est mieux préparé à organiser la nouvelle production que le plus savant des économistes (Sans même aller au-delà du réformisme, les travailleurs de Lip ont prouvé qu’ils étaient capables de faire marcher l’usine et de se passer des cadres).

  7. Le refus de l’intellectualisation n’a pas de sens hors de la lutte pour la liquidation de la division du travail, de la hiérarchie, de l’Etat.

  8. Les intellectuels ouvriéristes sont des cons et des salauds. Comme intellectuels, ils acceptent, honteusement ou non, de conserver une mission dirigeante. Sous le rôle et la fonction d’ouvrier, ils perpétuent la duperie du rôle et une fonction d’esclave dont aucun ouvrier ne veut plus. En choisissant de travailler en usines alors que les ouvriers sont obligés de le faire et n’attendent que le moment de se libérer définitivement du travail, ils sont ridicules et contre-révolutionnaires (car l’appel au sacrifice est toujours contrerévolutionnaire).

  1. Les ouvriers qui sont fiers de l’être sont des cons serviles. Les ouvriers intellectualistes sont aussi salauds que n’importe quel candidat dirigeant, misant sur la servilité des « bons ouvriers ».

  1. La théorie radicale, issue des luttes d’émancipation du prolétariat, appartient désormais, sous sa forme la plus claire et la plus simple, à ceux qui sont capables de la pratiquer, aux ouvriers révolutionnaires, c’est-à-dire à tous les prolétaires qui luttent pour la fin du prolétariat et de la société de classes. Elle appartient à tons ceux qui engagent le combat pour l’autogestion généralisée, pour la société des maîtres sans esclaves.

De fait, vous luttez déjà pour une société qui s’organise de telle façon que les séparations disparaissent, que la diversité s’accroisse dans l’unité du projet révolutionnaire, que l’ensemble des connaissances emprisonnées dans la culture soit rendu à la pratique d’enrichissement de la vie quotidienne ; que le savoir soit partout où est le plaisir ; que passion et raison soient inséparables ; et que la suppression de la division du travail, poussée à ses extrêmes conséquences, crée vraiment les conditions d’harmonisation sociale. (Voir III 47 à 58).

20. Eprouvez-vous un égal mépris pour ceux qui font de la politique et pour ceux qui n’en font pas mais laissent les autres la faire pour eux ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. Il est de tradition de considérer les hommes politiques comme les clowns du spectacle idéologique. Cela permet de les mépriser tout en continuant de voter pour eux. Personne ne leur échappe tout à fait puisque personne n’échappe tout à fait à l’organisation spectaculaire du vieux monde.

  2. La politique est toujours la raison d’Etat. Pour en finir avec elle> il faut en finir avec le système spectaculaire-marchand et son organisation de protection, l’Etat.

  3. Il n’y a pas de parlementarisme révolutionnaire, comme il n’y a pas et n’y aura jamais d’Etat révolutionnaire. Entre les régimes parlementaires et les régimes dictatoriaux, il n’y a que la différence entre la force du mensonge et la vérité de la terreur.

  4. Comme toute idéologie, comme toute activité séparée, la politique récupère les revendications radicales pour les morceler et les transformer en leur contraire. Par exemple, la volonté de changer la vie devient, entre les mains des partis et des syndicats, une revendication de salaire, une demande de temps libre et autres améliorations de la survie qui ne font qu’accroître le malaise en le rendant plus ou moins confortable momentanément.

  5. Les grandes idéologies politiques (nationalisme, socialisme, communisme) ont perdu leur attrait à mesure que les conduites sociales imposées par l’impérialisme de la marchandise multipliaient les « idéologies de poche ». A leur tour, les miettes idéologiques (les idées sur la pollution, l’art, le confort, l’éducation, l’avortement, les ratons laveurs) se politisent en regroupements grossiers vers le droitisme ou 1e gauchisme. Ce n’est là qu’une façon d’éloigner chacun de l’unique préoccupation qui lui tient vraiment à coeur : changer sa propre vie quotidienne dans le sens de l’enrichissement et des aventures passionnelles.

  6. Il n’est personne qui ne se batte pour soi et n’en arrive la plupart du temps à se battre contre lui-même. L’action politique est une des causes principales de cette inversion du résultat recherché. Seule la lutte pour l’autogestion de tous en tout répond au désir réel de chaque individu. C’est pourquoi elle n’est ni politique ni apolitique mais sociale et totale.

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où la décision appartient à tous ; où les divergences entre les individus et les groupes sont agencées de telle sorte qu’elles n’aboutissent pas à des destructions mutuelles mais au contraire se renforcent et profitent à tous. Il faut que la part ludique emprisonnée et engorgée dans la politique se libère dans un jeu des rapports entre les individus et entre les groupes d’affinités, par relations équilibrées et harmonisées d’accords et de discords. (Voir III 75 à 92).

21. Avez-vous depuis longtemps déchiré votre carte syndicale ?

Si oui, vous avez compris que :

  1. Il est faux de se croire trahi par les syndicats. Ceux-ci forment une organisation, séparée des travailleurs et qui devient nécessairement un pouvoir bureaucratique s’exerçant contre eux tout en organisant le spectacle de leur défense.

  2. Créés pour la défense des intérêts immédiats d’un prolétariat sur-exploité, les syndicats sont devenus, avec le développement du capitalisme, les courtiers attitrés de la force de travail. Leur but n’est pas d’abolir le salariat mais de l’améliorer. Ils sont donc les meilleurs serviteurs du capitalisme qui règne, sous la forme privée ou étatisée, dans le monde entier.

  3. L’idée anarchiste d’un « syndicat révolutionnaire » est déjà la récupération bureaucratique du pouvoir direct que les travailleurs peuvent exercer directement en se réunissant en assemblées de conseils. Née d’un refus du politique au nom du social, elle retombe dans le piège de la séparation et des leaders (même si certains d’entre eux ne veulent pas se conduire en chefs).

  4. Les syndicats sont la bureaucratie para-étatique qui complète et perfectionne le pouvoir que la classe bourgeoise exerce sur le prolétariat.

De fait, vous luttez déjà à chaque grève sauvage pour affirmer directement le pouvoir de tous contre toute représentation qui marque une séparation. Nous ne voulons plus de délégués syndicaux mais des assemblées où les décisions soient prises par tous et appliquées au profit de tous. Au lieu de discuter sur la reprise ou non du travail, nous voulons nous prononcer sur l’usage que nous allons faire des usines et de nous-mêmes. Nous voulons traduire notre volonté dans les faits en élisant un conseil, dont chaque membre soit révocable à chaque instant, et qui soit chargé d’appliquer les décisions prises par l’assemblée. (Voir III 27 à 39).

22. Vous arrive-t-il d’en avoir assez de votre épouse, de votre époux, de vos parents, de vos enfants, des corvées ménagères, des obligations familiales ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. La famille est la plus petite unité d’oppression sociale, l’école du mensonge, l’apprentissage du rôle, le conditionnement à la soumission, le chemin du refoulement, la destruction systématique de la créativité de l’enfance, le lieu commun de la bêtise, du ressentiment, de la révolte téléguidée.

  2. L’autorité familiale n’a cessé de décroître et d’être contestée à mesure que le système marchand diminue le pouvoir des hommes au profit de mécanismes oppressifs où les gens de pouvoir ne sont que des rouages. Le système marchand conserve ainsi la famille en la vidant de ses significations anciennes presque humaines ; elle n’en devient que plus insupportable.

  3. La famille est le lieu où toutes les humiliations d’avoir été traités en objets dans la société de survie donnent le droit d’humilier et de transformer en objets ceux qui en font partie.

  4. L’émancipation des femmes est inséparable de l’émancipation des enfants et de l’émancipation des hommes. L’abolition de la famille est inséparable de la liquidation du système spectaculaire-marchand. Toute revendication séparée de l’ensemble (Mouvement de libération de la femme, Mouvement de libération de l’enfant, Front homosexuel d’action révolutionnaire...) n’est que réformisme et ne fait qu’entretenir l’oppression.

  5. L’impérialisme marchand, qui détruit la famille traditionnelle, fait de la famille le lieu de passivité et de soumission au système (et de sa contestation qui nourrit les querelles de détail).

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où chacun dispose librement de lui-même sans dépendre de qui que ce soit, sans être soumis à un système oppressif, ne se posant que des problèmes d’harmonisation de ses désirs. Une société qui se préoccupe prioritairement de la suppression des corvées domestiques et qui laisse l9éducation des enfants aux volontaires, à commencer par les enfants eux-mêmes. (Voir III 35, 38, 44, 76, 83, 89, 90).

23. Avez-vous souvent l’impression d’être dans un monde à l’envers, où les gens font le contraire de ce qu’ils désirent, passent le temps à se détruire et à révérer ce qui les détruit, obéissent à des abstractions et y sacrifient leur vie réelle ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. Le travail aliéné est la base de toutes les aliénations. Il est à l’origine historique de la division sociale en maîtres et esclaves, et de toutes les séparations qui en découlent (religion, culture, économie, politique), de tout ce qui détruit l’homme en prenant un visage humain.

  2. Ce sont les produits, les relations sociales, les images et représentations créées par les producteurs, dans des conditions telles que ceux-ci en sont dépossédés et les voient se retourner contre eux, qui masquent leur hostilité et leur inhumanité sous des apparences inverses de ce qu’ils sont réellement (le maître se dit le serviteur des esclaves, les exploiteurs du prolétariat se prétendent au service du peuple, les images du vécu se donnent pour la seule réalité authentique, etc.).

  3. La différence de plus en plus sensible et de plus en plus insupportable entre les misères quotidiennes de la survie, les représentations mensongères qui nous en sont proposées et l’aspiration commune à tous de vivre une vraie vie montre chaque jour plus nettement que la lutte est engagée entre le parti de la survie et de la décomposition et le parti de la vie et du dépassement ; que la lutte finale pour la société sans classes, historiquement inévitable aujourd’hui, dresse le prolétariat, qui en a assez de son esclavage et qui réclame l’autogestion de tout et de tous, contre le système marchand et ses serviteurs, bourgeoisie et bureaucratie toutes deux sous le même casque protecteur de l’Etat.

  4. La recherche du bonheur est la recherche du vécu authentique, non falsifié, non inversé, non sacrifié. S’accepter tel que l’on est, dans sa spécificité particulière, est une conquête qui suppose la liquidation du système marchand et l’organisation collective harmonisée des passions individuelles.

De fait, nous en avons assez d’une existence dominée par le contraire de la recherche du bonheur individuel ; dominée par des secteurs séparés (économie, politique, culture et tous les éléments du spectacle) qui absorbent toute notre énergie et nous empêchent de vivre. Nous luttons pour le renversement du monde inversé, pour la réalisation des désirs et des passions dans des relations sociales débarrassées des impératifs de rentabilité et de pouvoirs hiérarchisés. (Voir III 11 à 18).

24. Trouvez-vous ridicule et odieux de faire une distinction entre travailleur immigré et travailleur autochtone ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. Le vieux principe « les prolétaires n’ont pas de patrie » reste parfaitement vrai, et il faut le rappeler sans cesse devant toutes les conneries nationalistes et racistes.

  2. De même, il faut rappeler sans cesse que l’émancipation du prolétariat est une tâche historique et internationale. Seule la pratique des ouvriers révolutionnaires dans le monde entier créera de fait l’internationale des conseils d’autogestion généralisée.

  3. La classe dirigeante et ses serviteurs font tout pour imposer une distinction entre travailleurs immigrés et travailleurs autochtones. A ces derniers, qu’ils méprisent comme des objets de rendements, ils font croire qu’il existe encore plus méprisé qu’eux.

  4. La participation des immigrés aux luttes les plus dures est aussi une lutte contre leur propre bourgeoisie, qui les vend dans la meilleure tradition de la traite des esclaves. En ce sens aussi, ils forment avec tous les autres ouvriers révolutionnaires la base d’une véritable internationale de l’autogestion généralisée.

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où les différences, qu’elles soient de race, de sexe, d’âge, de caractère, de passions, de désirs ne créent plus de barrière mais au contraire servent à l’harmonisation pour le plus grand accroissement de plaisir et de bonheur de tous. Vous luttez pour la réalisation de l’autogestion individuelle et collective sur des bases internationales, liquidant les préjugés imbéciles des nationalismes, des régionalismes, des attachements géographiques. (Voir III 19 à 26).

25. Eprouvez-vous le besoin de parler à quelqu’un qui vous comprenne et agisse dans le même sens que vous (refus du travail, des contraintes, de la marchandise et de la vérité des mensonges que constitue le spectacle) ?

Dans ce cas, vous avez compris que :

  1. L’habitude de parler pour ne rien dire, de se perdre dans de faux problèmes, de prêter l’oreille à ceux qui parlent d’une façon et agissent d’une autre, de se laisser aller à l’usure des conneries quotidiennes et du répétitif, est encore une façon d’empêcher chacun de reconnaître dans ses passions et ses souhaits de vie authentique (l’inverse des désirs d’appropriation privée inventés par le commerce) ses véritables intérêts.

  2. Toute intervention qui n’aboutit pas à des mesures pratiques est du bavardage, une façon de noyer le poisson. Toute mesure pratique qui n’aboutit pas à l’amélioration de la vie de chacun ne fait que renforcer son oppression ; et rien ne peut vraiment améliorer la vie sans la destruction du système marchand.

  3. Toute assemblée doit arriver rapidement à une décision ou être sabotée.

  4. Pendant les grèves ou avant, la discussion doit avoir pour but la vérité pratique : répandre la conscience de la lutte entreprise et arriver à des certitudes quant aux actions à entreprendre.

  5. Ce qui reste emprisonné dans le langage devient vite de l’idéologie, c’est-à-dire le mensonge, comme tout ce que racontent les membres des appareils bureaucratiques (partis, syndicats, groupes spécialisés dans l’amélioration du bétail ouvrier).

  6. Contre le langage dominant et faux, la meilleure garantie des assemblées de grève est d’élire très vite un conseil de délégués seuls habilités à suivre les directives des grévistes, sous peine de destitution immédiate, et à les traduire en actes sans perdre de temps.

  7. Nous ne voulons plus ni beaux parleurs, ni orateurs faisant des effets de style mais le langage des actes, des propositions concrètes et des plans d’action bien élaborés par nous-mêmes. Il est temps que l’effort de perfection porte non plus sur les phrases mais sur les actes.

De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour une société où les mots ne serviront plus à dissimuler mais à prolonger réellement nos désirs, à être les porte-paroles fidèles de ce que nous voulons (voir III 40 à 46).

CHAPITRE II - A B C D DE LA REVOLUTION

  1. Le but du sabotage et du détournement, pratiqués individuellement ou collectivement, est de déclencher la grève sauvage.

  2. Toute grève sauvage doit devenir occupation d’usine.

  3. Toute usine occupée doit être détournée et mise immédiatement au service des révolutionnaires.

  4. En élisant des délégués - révocables à chaque instant, chargés d’enregistrer ses décisions et de les faire appliquer - l’assemblée des grévistes jette les bases d’une organisation sociale radicalement nouvelle : la société d’autogestion généralisée.

Dès l’occupation des usines.

1. Toute assemblée de grévistes doit devenir assemblée d’autogestion généralisée.

Il lui suffit pour cela :

  1. D’élire des délégués, à tout instant révocables, mandatés pour donner à ses décisions force d’application immédiate.

  2. D’assurer son autodéfense.

  3. De s’étendre à l’ensemble des révolutionnaires et d’organiser son expansion géographique selon la meilleure efficacité de détournement possible (par exemple dans les régions qui possèdent à la fois des ressources agricoles et des industries prioritaires).

  4. De généraliser l’autogestion en assurant, de façon irréversible, le passage de la survie à la vie.

2. Tout le pouvoir appartient à l’assemblée, en ce qu’il est le pouvoir que chacun veut exercer sur sa vie quotidienne.

3. La meilleure garantie contre tout autre pouvoir, nécessairement oppressif (comme partis, syndicats, organisations hiérarchisées, groupuscules intellectuels et activistes, tous embryons d’Etats), c’est la construction immédiate de conditions de vie radicalement nouvelles.

4. Seules les fédérations de délégués réunis en conseils peuvent dissoudre l’Etat en le paralysant. Seule la coordination des luttes pour l’autogestion généralisée peut liquider le système marchand.

5. Toute discussion, toute intervention doit aboutir à une proposition pratique. Une mesure prise par l’assemblée est immédiatement exécutoire.

ORGANISER RAPIDEMENT L’AUTODEFENSE.

6. L’autodéfense est le premier droit de l’assemblée d’autogestion généralisée. Armer les masses, protéger et étendre la conquête du territoire en y créant les conditions d’un mieux-vivre général.

7. La révolution ne se planifie pas et elle ne s improvise pas, mais elle se prépare. Il est donc indispensable que les assemblées disposent notamment des renseignements suivants :

  1. Les zones d’approvisionnement : emplacement des dépôts, des stocks, des super- marchés, des réseaux de distribution. Emplacement des usines présumées prioritaires et qu’il conviendra d’automatiser au plus tôt ; emplacement des usines présumées reconvertibles et à transformer ; emplacement des secteurs présumés parasitaires et à supprimer. Répartition des zones agricoles.

  2. Les zones ennemies emplacement des casernes, commissariats, arsenaux, dépôts d’armes. Domicile et itinéraire des chefs dont la neutralisation désorganisera les forces étatistes.

  3. Les zones de communication et de liaison : emplacement des dépôts de camions, bus, trains, avions, garages, dépôts d’essence... Emplacement des centres de télécommunication : radios locales, imprimeries, télex, offsets...

  4. Les zones de survie : eau, électricité, hôpitaux, centres de soins, usines à gaz...

8. Dès qu’une région est occupée par les révolutionnaires, elle doit être détournée aussitôt selon deux principes indiscutables : autodéfense et distribution gratuite des biens de production.

9. La meilleure façon d’éviter l’isolement, c’est l’attaque. Il faut donc :

  1. Créer, dans une perspective internationaliste, d’autres foyers d’occupations et de détournements.

  2. Renforcer et protéger les liaisons entre les zones révolutionnaires.

  3. Isoler l’ennemi et détruire ses liaisons, recourir à des commandos d’intervention rapide pour le harceler sur ses arrières et éviter ses manoeuvres d’encerclement en le morcelant.

  4. Désorganiser la contre-révolution en mettant hors d’état de nuire ses chefs principaux et ses meilleurs stratèges.

  5. Se servir des imprimeries, des radios locales, des télécommunications pour répandre la vérité sur le mouvement d’autogestion généralisée et expliquer ce que nous voulons et ce que nous pouvons. Faire en sorte que les masses, dans chaque quartier, dans chaque ville et village, soient au courant de ce qui se passe dans le reste du pays. Coordonner les combats de rues et coordonner les luttes des villes et des campagnes.

10. On évitera les tactiques anciennes, passives et statiques, telles que barricades, manifestations de masses, luttes de type estudiantin. Il importe au plus haut point d’inventer et d’expérimenter des tactiques nouvelles et inattendues.

11. Le succès d’une guérilla urbaine intervenant comme appui tactique aux usines occupées réside dans la rapidité et l’efficacité de ses raids, d’où l’importance de petits commandos d’intervention réunissant ceux que les étatistes de toutes couleurs appellent déjà les « voyous de quartier » et les « voyous d’usine ».

12. Notre objectif est d’empêcher toute violence contre le mouvement d’autogestion généralisée, non de le répandre par la violence. Le désarmement de l’ennemi nous importe plus que sa liquidation physique. Plus notre action sera résolue et rapide, moins le sang coulera.

13. Le ralliement d’une partie des gens initialement hostiles à l’autogestion généralisée est la pierre de touche qui permettra de juger de la réussite des premières mesures adoptées et de leur excellence pour tous.

14. Néanmoins, il faut compter avec les conditionnés de la hiérarchie que les habitudes d’esclaves, le mépris de soi, l’ancrage du refoulement et le goût du sacrifice poussent à leur propre destruction et à la destruction de tous les progrès de la liberté concrète. Voilà pourquoi il est utile de neutraliser dès le début de l’action insurrectionnelle les ennemis de l’intérieur (chefs syndicaux, hommes de parti, ouvriéristes, jaunes) et les ennemis de l’extérieur (patrons, cadres, flics, armée).

15. En cas d’isolement ou de dépérissement de l’insurrection, l’autodéfense prescrit d’analyser différentes formes de repli possibles. Ces formes varieront selon le degré de la lutte engagée, la nature des fautes commises (par exemple l’incohérence interne du mouvement), la violence des moyens mis en oeuvre par l’ennemi, la répression prévisible, etc.

16. Nous n’avons pas à craindre un échec mais à tenter l’impossible et le possible pour le prévoir, l’éviter et parer à la répression. « N’est pas un révolutionnaire mais un individu qui ne s’est pas encore libéré de l’intellectualisme et qui objectivement se tourne vers la contre-révolution celui qui n’admet la révolution prolétarienne que si elle s’accomplit facilement et sans heurts, s’assure immédiatement le concours du prolétariat mondial et élimine à l’avance l’éventualité des défaites. »

17. Les massacreurs de la Commune de Paris et de Budapest nous ont appris que la répression est toujours impitoyable et que la paix des cimetières est l’unique promesse tenue par les forces de l’ordre étatique. A un stade de l’affrontement où la répression n’épargnera personne, n ’épargnons aucun de ces lâches qui attendent notre défaite pour se transformer en bourreaux. Brûlons les quartiers résidentiels, liquidons les otages, ruinons l’économie afin qu’il ne subsiste rien de ce qui nous a empêchés d’être tout.

18. Instruits de ce qui nous attend en cas d’échec et résolus, une fois notre victoire assurée, à ne pas tenir grief aux anciens ennemis, nous sommes prêts à employer toutes les formes de dissuasion au cours de la lutte, et notamment la destruction des machines, des stocks et des otages dans le but d’obtenir le retrait et le désarmement des forces étatistes. A un stade d’affrontement moins dur, il est utile de couper l’eau, le gaz, l’électricité, le combustible dans les quartiers bourgeois et de dirigeants, d’y déverser les ordures, de saboter les ascenseurs des blocs résidentiels, etc.

19. La voix des masses ne se fait bien entendre que dans le fracas des armes. Les dons d’invention de chacun créeront des armes insolites et efficaces à l’usage des commandos d’autodéfense. Au bricolage succédera le plus tôt possible la reconversion des machines qui se trouvent dans nos usines, selon un programme d’armement rapide défini par les assemblées d’autogestion généralisée.

20. Parmi les armes d’intervention immédiate, il convient de prévoir les tuyaux transformés en tubes lance-fusées (expérimentés au Vénézuela vers les années 1960), les fusées sol-air (expérimentées dans les clubs de jeunes scientifiques), les catapultes pour grenades et cocktails molotov, les lance-flammes, les mortiers, les appareils à ultra-sons, les lasers... On étudiera aussi les différentes formes de blindage des camions et des bulldozers reconvertis, les gilets pare-balles, les masques à gaz, les produits neutralisant les effets des incapacitants, l’emploi de L.S.D. dans l’eau des ennemis, etc.

21. Etudier des armes anti-hélicoptères : amélioration du canon à grêle, fusées solair, canons légers téléguidés, lasers, tireurs d’élite, pieux empêchant l’atterrissage...

22. Préparer la défense contre les blindés : silos anti-tanks, fusées téléguidées, blindicides, jets de napalm, mines...

23. Tenir les toits et les caves, créer des passages d’un immeuble à l’autre afin de permettre le déplacement rapide et protégé des commandos d’autodéfense.

24. Recourir à la ruse et aux armes télécommandées afin de s’exposer le moins possible au danger.

HATER LE PASSAGE DES CONDITIONS DE SURVIE AUX CONDITIONS DE VIE.

25. Nous l’emporterons à coup sûr si nous sommes capables de concrétiser pour tous le passage de la survie à la vie. Cela ne signifie pas que nous allons réussir à abattre le système marchand dès le premier combat. Cela signifie seulement que les premières mesures adoptées et appliquées par les assemblées d’autogestion doivent rendre doublement impossible tout retour en arrière en détruisant les conditions anciennes et en créant de tels avantages que personne n’accepte de s’en laisser déposséder.

26. Les premiers avantages de l’autogestion généralisée porteront nécessairement sur :

  1. La fin du système des échanges et du salariat par la distribution gratuite des biens nécessaires à la vie de chacun.

  2. La fin du travail forcé par le passage des forces productives sous le contrôle direct des assemblées d’autogestion, et par le libre essor de la créativité individuelle et collective.

  3. La fin de l’ennui, des refoulements, des contraintes par l’organisation de conditions sociales passionnantes, par une autonomie qui permet à chaque individu de se réaliser en disposant de l’aide de tous, par la reconnaissance, l’émancipation, la multiplication et l’harmonisation de passions jusqu’aujourd’hui appauvries, sacrifiées, engorgées, falsifiées et souvent tournées vers la destruction.

En sorte que l’histoire enregistre, définitivement et simultanément, en négatif l’anéantissement du système marchand et en positif la construction d’une société radicalement nouvelle, déjà présente au coeur de chacun.

27. Dès le début du mouvement, il s’agit d’empêcher tout retour en arrière, de brûler derrière nous les vaisseaux du vieux monde, en aidant à la disparition des banques, des prisons, des asiles, des tribunaux, des bâtiments administratifs, des casernes, des commissariats, des églises, des symboles oppressifs. Ainsi que des dossiers, des fichiers, des papiers d’identité, des traites et paiements à tempérament, des feuilles d’impôt, des paperasseries financières et autres. Destruction des réserves d’or par l’eau régale (mélange d’acide nitrique et d’acide chlorhydrique).

28. Autant que possible, détruire les structures de la marchandise plutôt que les personnes, et ne liquider que ceux qui espèrent nous ramener au régime de l’exploitation, de la servitude, du spectacle et de l’ennui.

29. La fin de la marchandise signifie la promotion du DON sous toutes ses formes. Les assemblées d’autogestion généralisée organiseront donc la production et la distribution des biens prioritaires. Elles enregistreront les offres de création et de production d’une part, les demandes individuelles d’autre part. Des tableaux tenus à jour permettront à chacun de prendre connaissance des stocks disponibles, du nombre et de la répartition des demandes, de la localisation et du mouvement des forces productives.

30. Les usines seront reconverties et automatisées ou, dans le cas de secteurs parasitaires, détruites. Un peu partout, des ateliers de création libre seront mis à la disposition de tous les talents.

31. Les bâtiments parasitaires (bureaux, écoles, casernes, églises...) seront, sur décision des assemblées d’autogestion généralisée, détruits ou de préférence transformés en greniers collectifs, entrepôts, logements de passage, labyrinthes et terrains de jeux.

32. Transformer les super-marchés et magasins à grande surface en centres de distribution gratuite, en examinant l’opportunité de multiplier par région les petits centres de distribution (reconversion des petits magasins et des bistrots par exemple).

33. Les besoins changent dès que disparaît la dictature marchande, qui n’a cessé de les falsifier. Ainsi, les voitures deviennent pour la plupart inutiles dès que l’espace et le temps appartiennent à tous et qu’il est possible de se déplacer librement sans limitation horaire. Il faut donc non seulement prévoir l’apparition de demandes radicalement nouvelles, de fantaisies individuelles, de passions insolites, mais aussi mettre tout en oeuvre pour les satisfaire, de telle sorte que le seul obstacle à leur réalisation soit dans le manque momentané d’équipement matériel et non dans l’organisation sociale.

34. Le projet d’abolir la distinction entre villes et campagnes exige la décentralisation de l’habitat (droit de nomadisme, droit de bâtir sa maison en territoire disponible), la destruction des industries de nuisance et de pollution, la création dans les villes de zones de culture et d’élevage (aux Champs-Elysées par exemple).

35. Dans le moment insurrectionnel, toutes les professions ont l’occasion de se nier comme travail forcé. La petite étincelle passionnelle qui permettait de supporter la dure aliénation du métier exercé pour survivre, va embraser des vocations nouvelles et libres. Tel qui aime enseigner donnera ses cours dans la rue ; tel qui aime cuisiner disposera de cuisines « banales » installées partout et rivalisant en qualité. Ainsi chaque disposition créative donnera naissance à un artisanat libre et à une profusion de raretés.

36. Chacun a le droit de faire connaître ses critiques, ses revendications, ses opinions, ses créations, ses désirs, ses analyses, ses fantaisies, ses problèmes... afin que la plus grande variété puisse engendrer les meilleures chances de rencontre, d’accords, d’harmonisation. Les imprimeries, télex, offsets, radios, télévisions passées aux mains des assemblées seront mises à cette fin à la disposition de chaque individu.

37. Personne ne se battra sans réserve s’il n’apprend d’abord à vivre sans temps morts.

En cas de grève sauvage limitée.

TOUTE GREVE DOIT DEVENIR GREVE SAUVAGE.

38. Le vrai sens d’une grève, c’est le refus du travail aliéné et de la marchandise qu’il produit et qui le produit.

39. Une grève ne prend son vrai sens qu’en devenant grève sauvage, c’est-à-dire en se débarrassant de ce qui entrave l’autonomie des ouvriers révolutionnaires : partis, syndicats, patrons, chefs, bureaucrates, candidats bureaucrates, jaunes, travailleurs à mentalité de flic et d’esclave.

40. Tous les prétextes sont bons pour déclencher une grève sauvage, car il n’y a rien qui justifie l’abrutissement du travail forcé et l’inhumanité du système marchand.

41. Les ouvriers révolutionnaires n’ont pas besoin d’agitateurs. C’est d’eux seuls que part le mouvement d’agitation générale.

42. Dans la grève sauvage, les grévistes doivent exercer le pouvoir absolu, à l’exclusion de tout pouvoir extérieur à eux.

43. La seule façon de tenir en échec les organisations extérieures - toutes récupératrices -, c’est d’accorder tout pouvoir à l’assemblée des grévistes et d’élire des délégués chargés de coordonner les décisions et de les faire appliquer.

44. Si limitée qu’elle soit, une grève sauvage doit tout mettre en oeuvre pour obtenir le soutien du plus grand nombre. Par exemple en amorçant les habitudes de gratuité grève des caissières de super-marché permettant la distribution gratuite des biens exposés et entreposés ; distribution par les ouvriers des produits fabriqués par eux ou sortis des stocks.

TOUTE GREVE SAUVAGE DOIT DEVENIR OCCUPATION D’USINE.

TOUTE OCCUPATION D’USINE DOIT ABOUTIR A SON DETOURNEMENT IMMEDIAT.

45. L’occupation d’usine traduit la volonté des ouvriers révolutionnaires d’être les maîtres de l’espace et du temps occupés jusqu’à présent par la marchandise. S’ils ne détournent pas l’usine à leur profit, cela signifie qu’ils renoncent à la créativité qu’ils veulent exercer et à leurs droits les plus indiscutables.

46. Une usine occupée et non détournée apporte au spectacle de l’impuissance à briser le système marchand l’argument décisif dont ont toujours besoin les appareils bureaucratiques, les manipulateurs idéologiques et tous ceux qui oublient que la richesse des possibilités techniques, aujourd’hui à notre portée, rend ridicule l’accusation d’utopie.

47. Une usine occupée doit être aussitôt détournée au profit de l’autodéfense (fabrication d’armes et de blindages) et de la distribution gratuite de tout ce qui peut s’y fabriquer d’utile.

48. Pour sortir de l’isolement, les révolutionnaires ne peuvent compter que sur leur créativité. Il importe notamment de :

  1. Prévoir les formes d’appui tactique des autres travailleurs hors usines : par exemple, les imprimeurs peuvent intervenir dans les journaux qu’ils impriment pour donner des informations exactes et diffuser le programme des ouvriers en grève ; les lycéens et lycéennes peuvent s’emparer des écoles, former des chaînes de liaison avec le reste du pays, attaquer les forces de l’ordre à revers ; les habitants d’une région peuvent neutraliser les forces de répression et former avec les ouvriers en grève des assemblées d’autogestion généralisée ; les soldats peuvent s’emparer des casernes et prendre leurs chefs en otages ; les avocats peuvent prendre les juges en otages et les livrer aux grévistes... Dans le moment révolutionnaire, il n’est aucune fonction qui ne puisse se détruire en se tournant vers la subversion.

  2. Internationaliser le conflit, répandre les grèves sauvages entre divisions d’un même, complexe industriel éloignées géographiquement, entre firmes connexes ou complémentaires d’un pays à l’autre, entre une usine et ses sources d’approvisionnement. Non seulement le détournement d’une région économiquement viable se moque des frontières, des régionalismes, du nationalisme, mais il est la base sur laquelle se construira non plus une internationale politique mais au contraire une internationale de la pratique révolutionnaire.

  3. Donner sa pleine cohérence à la guérilla d’autodéfense ; ne lancer de raids de commandos contre les casernes, les arsenaux, la radio que pour appuyer et développer le mouvement ouvrier révolutionnaire, et non séparément comme c’est le cas dans le terrorisme, le blanquisme ou l’activisme gauchiste ; ne recourir, si c’est utile, à des attentats que d’une façon sélective (chefs contre-révolutionnaires à mettre hors d’état de nuire, nids de flics à neutraliser...) et jamais de façon aveugle (bombes dans les gares, les banques, les lieux publics).

49. Aux otages vivants tels que patrons, ministres, évêques, banquiers, généraux, hauts fonctionnaires, préfets, chefs policiers, il faut préférer des otages matériels : stocks, prototypes, réserves d’or et d’argent, machines très coûteuses, appareillage électronique, hauts fourneaux, etc.

50. Il faut savoir accorder les moyens de pression et de dissuasion et la nature des revendications. Par exemple, il est absurde, comme l’ont fait les ouvriers des établissements Salée à Liège (septembre 1973), de menacer de faire sauter l’usine pour obtenir une entrevue avec des parlementaires. Les recours à des moyens extrêmes doivent aboutir à des mesures radicales (par exemple à la liquidation de l’ennemi étatiste, au désarmement des forces répressives, à l’évacuation d’une ville ou d’une région par les flics et l’armée).

51. Ne prendre de risques que lorsque le résultat en vaut la peine. Si l’isolement menace, mieux vaut abandonner mais en prévoyant de nouvelles tentatives, en évitant la répression et en tournant à l’avantage des révolutionnaires chaque repli momentané.

52. En cas de menace répressive, envisager la destruction des lieux et des otages. Ce qui ne peut être détourné au profit de tous peut être détruit ; en cas de victoire, nous reconstruirons, en cas de défaite, nous précipiterons la ruine de la marchandise.

53. Il faut renoncer une fois pour toutes aux manifestations de masse et aux affrontements de type estudiantin (pavés, bâton, barricades). Pour protéger la marchandise, les flics n’hésitent pas à tirer. Les commandos d’intervention doivent très vite aboutir au désarmement et à la neutralisation des étatistes.

54. Ne jamais faire confiance aux étatistes, n’accepter aucune trêve, étendre le mouvement aussi rapidement que possible, et ne pas oublier la férocité des répressions bourgeoises et bureaucratiques.

Avant la vague de grèves sauvages.

L’EXERCICE INDIVIDUEL DU SABOTAGE ET DU DETOURNEMENT EST EFFICACE QUAND IL ABOUTIT AU DECLENCHEMENT DE LA GRÈVE SAUVAGE.

55. Chaque ouvrier a le droit de détourner à son usage les produits et les techniques employés jusqu’à ce jour contre lui.

56. Chaque ouvrier a le droit de saboter tout ce qui sert à le détruire.

57. Le sabotage et le détournement sont les gestes spontanés les plus répandus en milieu ouvrier. Il suffit d’en répandre partout la bonne conscience et d’en redire l’utilité pour les multiplier, les perfectionner et leur donner plus de cohérence.

58. En 1972, un rapport présenté par des fonctionnaires du Commissariat pour la protection de l’Etat et pour le respect de la constitution, et par des responsables de la sécurité dans l’industrie en République Fédérale Allemande a relevé les actes de sabotage économiques suivants :

Dans une fabrique de pneus, les solutions intervenant dans la fabrication de ceuxci ont été plus d’une fois souillées par différents moyens.

Dans les environs d’une aciérie, deux hommes ont coupé les vannes d’arrivée de gaz, provoquant le refroidissement d’un haut-fourneau et, par là, des pertes à la production s’élevant à plusieurs millions de marks.

Une firme fabriquant des tubes de télévision devait faire face à de nombreuses réclamations et se rendit compte que le verre avait été sali par l’addition de produits chimiques.

Une cave contenant des machines de grande valeur a été inondée suite à la section d’une conduite d’eau.

Des inconnus ont volé des cartes perforées dans un dépôt organisé par ordinateurs, stoppant ainsi tout travail pendant quatre jours.

Ces exemples, publiés par une revue allemande, donnent une idée de la créativité individuelle appliquée au sabotage.

59. Le sabotage est plus passionnant que le bricolage, le jardinage ou le tiercé. Soigneusement préparé, il risque d’arriver à point pour déclencher la grève sauvage, l’occupation, le détournement de l’usine au profit de tous, et il amorce ainsi le contrôle de chacun sur sa propre vie quotidienne. Vieille tradition ouvrière, il permet, ici, de se détendre les nerfs en assouvissant une petite vengeance, et là, de gagner un peu de repos en attendant les réparations. Jusqu’aujourd’hui, il a rarement dépassé le stade du bricolage. Tout le monde sait que :

Un marteau ou une barre de fer suffisent pour détruire un ordinateur, un prototype, du matériel de précision, les pointeuses, les robots qui contrôlent et imposent le rythme de production.

Une source de chaleur approchée du déclencheur libère l’eau des pommes d’arrosage fixées dans le plafond des grands magasins et des zones de stockage.

Un peu de limaille de fer dans le carburateur, de sucre dans le réservoir d’essence, de sulforicinate d’ammoniaque dans le carter met hors d’usage la voiture d’un flic, d’un patron, d’un jaune, d’un chef syndical.

La diffusion des numéros de téléphone des étatistes et du numéro minéralogique de leur voiture peut servir d’arme de dissuasion et de démoralisation. Mais nous commençons vraiment à sortir de l’ère du bricolage.

60. Plus le système marchand se complique, plus les moyens simples suffisent à le détruire.

61. Le terrorisme est la récupération du sabotage, son idéologie, son image séparée. Autant il est utile, dès le début des grèves sauvages, de détruire les caisses enregistreuses des super-marchés, de donner l’argent des caisses au personnel en grève, d’organiser une distribution sauvage des produits et d’expliquer ce que sera l’autogestion généralisée, autant il est absurde de déclencher la même opération sans liaison avec le mouvement de détournement des usines.

62. La positivité du sabotage, c’est qu’habitués à connaître mieux que les patrons les fautes commises dans la production par suite de la course au profit, les ouvriers sont tout aussi capables de les aggraver que de les corriger lorsqu’il s’agit de détourner l’usine à leur profit. L’expérience de Lip - initialement récupérée parce qu’elle n’a pas réussi à rompre radicalement avec le système marchand - a du moins souligné l’évidence que les ouvriers sont seuls armés pour changer définitivement le monde [1]. Dans l’état actuel des forces productives, nous pouvons tout, et rien ne peut s’opposer durablement à ce que nous en prenions tous conscience.

63. Soumis à toutes les aliénations, les ouvriers ont sur le reste du prolétariat l’avantage de tenir entre leurs mains la cause de toutes les aliénations : le processus marchand. Parce qu’ils n’ont que le pouvoir de détruire la totalité de ce qui les détruit, ils détiennent aussi la solution globale aux problèmes d’harmonisation, du détournement de l’économie à l’organisation de nouveaux rapports humains, fondés sur la gratuité.

64. Le sabotage est par excellence l’anti-travail, l’anti-militantisme, l’anti-sacrifice. Chacun le prépare en recherchant à la fois son propre plaisir, l’intérêt de tous, un risque calculé, la facilité d’exécution, l’occasion favorable. Il habitue à l’autonomie et à la créativité, et sert de base réelle aux relations que les révolutionnaires souhaitent établir entre eux. Il est le jeu subversif où se brise la récupération bureaucratique. Voilà une description de ce qui s’est passé en 1963 dans une usine automobile proche de Détroit :

65. Le problème de l’organisation est un problème abstrait s’il ne répond à la question « qui organise et pourquoi ? ». Les organisations constituées en dehors des ouvriers ont abouti, dans le meilleur des cas, à l’impuissance pratique, et la plupart du temps au renouvellement des appareils bureaucratiques. Les organisations constituées au nom des ouvriers ont, dans le meilleur des cas, créé des conditions de bureaucratisation, et la plupart du temps sont devenues des instruments d’oppression para-étatiques. La seule forme d’organisation réellement ouvrière et révolutionnaire, c’est l’assemblée des grévistes sauvages devenant assemblée d’autogestion généralisée (voir 2e partie, 1). Ce qui la prépare, ce ne sont pas d’autres organisations, nécessairement hybrides et séparées, mais l’action révolutionnaire pour laquelle il n’est besoin que de groupes d’intervention se formant pour une action précise et se dissolvant quand une pratique précise ne les justifie plus.

66. Les groupes éphémères, formés le temps d’une action précise et de l’exploitation de ses effets, veilleront au respect de l’autonomie individuelle, au refus de tout militantisme, à l’exclusion de tout sacrifice. La seule discipline sera celle adoptée après discussion et réglée sur les nécessités de l’entreprise et de la protection contre tout risque de répression.

67. Chaque révolutionnaire a le droit d’agir seul, en commandos ou groupes éphémères, mais qu’il soit attentif à ne pas agir séparément, c’est-à-dire en perdant de vue la ligne tactique qui va des actes de sabotage et de détournement à la grève sauvage, et de la grève sauvage à l’occupation et au détournement collectif des usines. Notre révolution est une révolution totale et unitaire. Cela signifie, par exemple, que le sabotage ne se limite pas à l’anti-travail mais qu’il s’en prend globalement à la marchandise, liquidant les attitudes autoritaires, les tabous (inceste, répression sexuelle), les conduites appropriatives (jalousie, avarice), les mensonges de la représentation, etc. ; qu’il encourage partout la liberté et le renforcement des passions, l’harmonisation des désirs et des volontés individuelles...

68. Seuls des groupes d’autodéfense, formés sur le projet d’une action précise et disparaissant une fois le but atteint et la protection de tous assurée, peuvent préparer de façon cohérente l’apparition de conditions favorables à l’établissement d’assemblées d’autogestion généralisée.

69. Les ouvriers anti-travail, anti-partis, anti-syndicats, anti-marchandise, antisacrifice, anti-hiérarchie formeront les groupes occasionnels d’autodéfense. Les « voyous d’usine », comme les appelle le front des étatistes (des fascistes aux maoïstes) forment la base d’un mouvement sans laquelle l’action des « voyous de quartier » tombe dans le terrorisme, et d’où naîtront nécessairement les assemblées d’autogestion généralisée.

70. La meilleure garantie de sécurité dont peut s’entourer un groupe de sabotage et de détournement, c’est le déclenchement d’un mouvement collectif d’enthousiasme révolutionnaire chez l’ensemble des ouvriers et de la population. Le meilleur anonymat, c’est l’adhésion du plus grand nombre.

71. L’absence de décisions prises hiérarchiquement limite les risques de manipulation policière ou de machination bureaucratique. Tout groupe éphémère d’intervention a néanmoins intérêt à :

  1. Se constituer entre gens qui se connaissent bien.

  2. Tenir compte des capacités et des faiblesses de chacun, et les accorder à l’action.

  3. Prévoir l’échec du plan par trahison ou défaillance, et préparer les différentes ripostes possibles en veillant à éviter toute répression générale (par exemple en prenant des otages et en mettant au point l’extermination des exterminateurs probables et de leurs complices, etc.), à lancer une deuxième vague d’actions qui corrigent les premières, à tirer la leçon des échecs, à transformer pratiquement tout échec en échec des étatistes.

72. D’une façon générale, une action subversive, lancée par un groupe de guérilla contre le système dominant, devrait répondre au moins à quatre préoccupations :

  1. Expérimenter la créativité et l’autonomie individuelles tout en affinant les relations d’accords et de désaccords entre les participants.

  2. Etudier les modalités de répression probable et la façon de riposter très vite pour le profit du plus grand nombre.

  3. Porter la lutte sur tous les aspects de la vie quotidienne, qui est le lieu réel où s’enregistrent les progrès et les manques de la longue révolution.

  4. Avoir en vue la jouissance réelle et la qualité de vie pour tous les ouvriers d’une usine, pour tout un quartier, pour le prolétariat.

73. Le critère de réussite se mesure à la rapidité du passage du sabotage et du détournement individuels à la grève sauvage et au détournement collectif. C’est la seule pratique qui amorce le projet d’autogestion généralisée.

74. La base de l’autogestion généralisée n’est pas l’individu mais l’individu révolutionnaire, n’obéissant qu’a un engagement momentané sur un objectif particulier et à son propre plaisir poussé jusqu’à la cohérence globale ; ne s’inféodant à aucun fétichisme organisationnel.

75. Un acte de sabotage ou de détournement, qu’il soit individuel ou collectif, ne s’improvise pas mais se prépare comme une opération de harcèlement. Calculer le moment opportun, le rapport des forces engagées de part et d’autre, la disposition des lieux, les défections et les erreurs possibles et toute la gamme de leur correction, les chances de repli, les risques. Lier l’action à une stratégie globale dont le centre soit toujours la construction de l’autogestion généralisée.

76. Il est bon d’organiser la diffusion de renseignements sur les usines, les casernes, les bâtiments de télécommunication... afin que les plans d’accès, les méthodes de sabotage, les modes de fonctionnement soient entre les mains de plusieurs et à la disposition de beaucoup d’esprits créatifs.

77. Il est bon que des textes comme celui-ci soient discutés, critiqués, corrigés, mais non dans l’abstraction. Seule la pratique porte en elle la critique réelle du projet révolutionnaire.

78. De même, la meilleure façon d’en finir avec les idéologies et leurs armées de bureaucrates, c’est de lutter avec la plus grande cohérence et la plus grande précision pour l’autogestion généralisée. Dès que les grèves sauvages permettront de former des assemblées d’autogestion, avec leurs délégués élus, responsables et révocables, dès que la gratuité des biens sera appliquée, les idéologues verront la critique en armes se dresser contre leurs visées étatiques et bureaucratiques et dénoncer définitivement les mensonges derrière lesquels ils se dissimulent.

79. L’évidence théorique selon laquelle « le droit de vivre passionnément passe par la liquidation totale du système spectaculaire-marchand » doit maintenant atteindre à une cohérence pratique qui va du projet stratégique global aux moindres détails de la lutte tactique. C’est pourquoi, il n’est pas inutile que chacun rédige et diffuse ses recettes de jeu subversif (par exemple qu’il est possible de déloger n’importe quel ennemi de son local en jetant, fixés ensemble, une bouteille d’eau de javel - hypochlorite de sodium - et un flacon de produit pour détartrer et déboucher les éviers et les WC - à base d’hydrate de sodium ; qu’une heure avant d’être soumis à un tir de grenades lacrimogènes, il faut absorber des comprimés d’anti-histaminique (rumicine) ; etc.). Il conviendra de se méfier des fausses indications données par les flics eux-mêmes.

80. La lutte pour la destruction radicale de la marchandise est inséparable de la construction quotidienne d’une vie passionnante, libérée des tabous et des contraintes. Tout projet révolutionnaire s’appuie nécessairement sur la recherche d’un enrichissement passionnel, sur un calcul et un jeu du risque et du plaisir (risque minimum, plaisir maximum).

CHAPITRE III - L’AUTOGESTION GENERALISEE

1. L’autogestion généralisée est l’organisation sociale du pouvoir reconnu à chacun sur sa vie quotidienne et exercé directement soit par les individus eux-mêmes, soit par les assemblées d’autogestion.

2. Elle est apparue dans l’histoire du mouvement ouvrier chaque fois que la base a voulu imposer et réaliser ses propres décisions sans abandonner son pouvoir à des chefs et sans se laisser guider par aucune idéologie.

3. Elle a été écrasée par l’effet conjugué de sa faiblesse constitutive, de ses irrésolutions et confusions, de son isolement, et des dirigeants qu’elle a commis l’erreur de se donner ou de tolérer et qui l’ont menée à sa perte en prétendant l’ordonner et la fortifier. Les exemples les plus riches d’enseignements sont les conseils ouvriers apparus en Russie en 1905 (écrasés par le tsarisme), 1917 (récupérés et détruits par les bolcheviks), 1921 (écrasés à Cronstadt par Lénine et Trotsky) ; en Allemagne en 1918 (écrasés par les socialistes) ; en Italie en 1920 (détruits par les socialistes et les syndicats) ; en Espagne en 1934 (révolution asturienne écrasée par le gouvernement républicain), en 1936-1937 (récupérés par le syndicat anarchiste et écrasés par les staliniens) ; en Hongrie en 1956 (écrasés par l’Etat dit soviétique).

4. Il n’y a pas de révolution possible hors du retour, du renforcement définitif et de l’expansion internationale du mouvement de l’autogestion généralisée.

5. Le mouvement d’autogestion généralisée naît dans le fonctionnement des assemblées et de leurs conseils de coordination.

6. C’est de la lutte de classes que vient l’assemblée d’autogestion généralisée. Elle exprime de la façon la plus simple la volonté du prolétariat de liquider la bourgeoisie et de se liquider en tant que classe ; sa décision de ne plus assister en spectateur à sa propre déchéance et aux représentations mensongères qui la dissimulent tant bien que mal ; sa résolution de ne plus subir l’histoire mais de la faire à son profit et au profit de tous.

7. L’assemblée d’autogestion généralisée n’est rien d’autre que l’assemblée de grève constituée par les travailleurs dès l’occupation des usines, et qui s’étend aussi vite que possible du lieu de travail au quartier environnant et à la région. Son projet n’a rien d’abstrait ou de politique : n est au contraire centré sur la vie quotidienne de chacun et sur ses possibilités d’enrichissement passionnel.

8. Le conseil groupe l’ensemble des délégués élus par l’assemblée, chargés d’un mandat précis, contrôlés et révocables à chaque instant.

9. Le conseil a essentiellement une fonction de coordination. Il est indissociable de l’assemblée. Ses membres relèvent exclusivement de ceux qui les ont élus dans un but bien précis ; ils n’exercent aucun pouvoir par eux-mêmes mais ont seulement toute la liberté de créativité nécessaire pour arriver au résultat qui leur a été assigné. Si jamais une séparation apparaissait entre leurs intérêts et ceux de leurs électeurs, le conseil deviendrait comité et, en s’arrogeant un pouvoir autonome, ouvrirait la voie vers un nouvel Etat.

10. Même au degré d’expansion le plus vaste, l’ensemble des assemblées d’autogestion généralisée ne cesse de contrôler en permanence, par tous les moyens de la télécommunication, l’efficacité des délégués dans la mission dont ils ont été chargés.

Des droits positifs révolutionnaires

11. Les droits positifs révolutionnaires sont l’ensemble croissant des droits individuels de jouissance, garantis par le fonctionnement même de la nouvelle organisation sociale.

  1. Nés de la lutte contre le système marchand et concrétisés dès les premières mesures prises par les assemblées d’autogestion généralisée, ils constituent un acquis en deçà duquel il est impossible de revenir.

  2. Formés par les demandes présentées dans l’assemblée d’autogestion généralisée, et qui ont été réalisées immédiatement, harmonisées ou différées par manque momentané de moyens, ils composent un code perpétuel des droits possibles.

12. Dans le refus de la survie, les droits à la jouissance apparaissent sous une forme négative. Nous en prenons conscience dans des revendications anti-Etat, anti-bureaucratie, anti-travail, anti-échange, anti-sacrifice, anti-propriété privée, anti-quantiatif, antiidéologie, anti-hiérarchie. Ainsi n avons-nous qu’une idée appauvrie du bonheur inépuisable que la destruction d’un système de contraintes et de mensonges peut mettre à notre portée du jour au lendemain. En réalisant positivement des désirs jusqu’à ce jour réprimés, engorgés, falsifiés, l’assemblée d’autogestion va débarrasser authentiquement les passions de ce qui les corrompt et les harmoniser de telle sorte que disparaissent une fois pour toutes les séquelles psychologiques de la survie (jalousie, avarice, prestige, autoritarisme, goût de la soumission et du viol...).

13. Pour que le mouvement d’autogestion généralisée soit vrai, il faut que son pouvoir soit absolu dans les zones libérées nous voulons l’autogestion des libertés, non l’autogestion de l’oppression et du mensonge, qui n’est que l’oppression et le mensonge au nom de l’autogestion.

14. il ne s’agit pas de condamner un désir, une passion tournés vers l’angoisse ou la destruction mais de les rendre caducs par la multiplicité des jouissances possibles. Toutes les demandes passionnelles méritent ainsi d’être présentées à l’assemblée d’autogestion généralisée afin d’y être réalisées, harmonisées par offres et demandes, développées du simple au composé, multipliées et raffinées. S’il est vrai que les révolutionnaires formeront les premières assemblées d’autogestion, ce sont aussi ces assemblées qui formeront les révolutionnaires.

15. Les droits positifs révolutionnaires sont la pratique d’individus concrets, non les principes abstraits du citoyen ou de l’Homme en soi.

16. Il ne suffit pas que chaque individu connaisse et s’invente des droits en expérimentant leur pratique, il faut surtout que l’organisation sociale soit ainsi faite qu’elle puisse seulement renforcer, enrichir et multiplier ces droits individuels. Nous ne voulons pas une nouvelle déclaration des Droits de l’Homme mais les droits réels qui découlent du fonctionnement même de l’organisation sociale.

17. Les droits positifs révolutionnaires s’expriment partout dans la vie sociale grâce au fonctionnement des assemblées d’autogestion généralisée. Plus ce fonctionnement sera simple, plus la complexité des exigences individuelles augmentera et plus la demande passionnelle pourra se satisfaire sans même passer par les assemblées.

18. Plus décisifs seront les coups portés au système marchand et à l’Etat, mieux l’harmonisation des intérêts, des désirs et des passions individuels fera de chacun le maître de sa vie quotidienne. Pendant la phase de tâtonnements et d’erreurs, il importe surtout de rendre impossible toute forme de répression à l’intérieur de la société d’autogestion. Hors de la guerre d’autodéfense qui vise à l’élimination des étatistes.

  1. Personne n’est condamnable pour ce qu’il a été avant la révolution. Seule l’attitude pendant la lutte est déterminante. Ainsi, à Alcorisa, en Aragon, lors des émeutes de 1933, les anarchistes avaient tiré sur le notaire du village, qui en resta boiteux jusqu’à sa mort. En 1936, le village fut collectivisé et le notaire entra dans la collectivité, car tout le village l’était. Un an plus tard, avec le renforcement de la bourgeoisie grâce au parti communiste et aux efforts des staliniens pour détruire les collectivités, une minorité de petits paysans voulut sortir en entraînant les autres. Le notaire s’opposa alors à leur argumentation et dit : « Auparavant, j’avais une propriété qui faisait tant d’hectares. Maintenant, dans la collectivité, tout m’appartient et je suis bien plus riche. » Ce notaire devenu révolutionnaire fut fusillé par les franquistes en 1939 à Barcelone.

  2. Autant la rigueur doit l’emporter dans le combat, autant il convient, une fois la victoire assurée, de rendre caduque la notion de « suspect » en diversifiant les rapports ludiques.

  3. Seul compte le résultat pratique. Que les rapports de jugement s’effacent au profit des rapports d’harmonisation. Le manquement aux droits individuels n’appelle aucun autre « châtiment » que sa correction.

Du droit d’autodéfense

19. L’autodéfense est le premier droit des révolutionnaires. Tant que les armes ne seront pas devenues inutiles, chacun aura le droit d’être armé.

20. L’assemblée s’organise immédiatement en groupes d’autodéfense chargés entre autres de :

La guérilla en zones non libérées, avec destruction des centres économiques vitaux pour les étatistes et attentats visant à la désorganisation de l’ennemi.

La production d’armes nouvelles.

La mise au point de tactiques insolites.

La protection des usines prioritaires, des sources d’approvisionnement, des dépôts, des zones de stockage, des centres de soins, des télécommunications.

21. A travers les tâtonnements et les erreurs inévitables, la meilleure garantie de l’autodéfense réside dans la preuve apportée à tous, pratiquement et immédiatement, que :

  1. L’autogestion généralisée assure à chaque individu une hausse instantanée de la qualité de vie quotidienne (primauté des passions désaliénées, abolition du travail forcé, construction de vrais rapports humains... ).

  2. La régression vers l’échange, l’argent, la hiérarchie, la marchandise devient subjectivement odieuse et objectivement impossible.

  3. La liquidation du système marchand change radicalement le sens des intérêts et des préoccupations humaines. Débarrassés des problèmes de survie, nous n’aurons enfin que le souci d’apprendre à vivre.

22. L’acquisition de droits multiples et de plus en plus riches est la meilleure arme du combattant révolutionnaire. Nous n’avons que faire d’exhortations ou de leçons. Nous ne sommes pas des héros mais les conquérants de passions nouvelles, les enragés d’un plaisir sans réserve.

23. L’expansion du mouvement d’autogestion généralisée - une expansion qui doit atteindre rapidement et nécessairement une dimension internationale - tient principalement aux progrès de l1émancipation individuelle, assurée par la transformation collective des conditions historiques.

24. La lutte contre l’isolement qui menace les tentatives d’autogestion généralisée implique un bouleversement simultané du temps et de l’espace :

  1. Modifier l’espace géographique en instaurant le règne de la gratuité des biens, la conquête de secteurs économiques complémentaires (notamment une zone industrielle une zone agricole + les sources de matières premières), la création de « polyindustries » automatisées et capables de fournir la plus grande diversité de produits.

Et inséparablement,

  1. Créer les conditions de passage du temps de l’ennui et de la passivité à un temps de créativité et de passions multiples, en sorte que les gens vivent sur un autre rythme et dans un ensemble d’unités d’espace et de temps qu’ils contrôlent et transforment.

25. Le changement qualitatif de la vie quotidienne est une exigence absolue dans la société d’autogestion généralisée. Elle exclut tout compromis avec les forces du vieux monde. C’est pour n’avoir pas été assez de l’avant et avoir pactisé avec la canaille réformiste et stalinienne que les révolutionnaires espagnols se sont condamnés à l’extermination de 1937.

26. L’autogestion généralisée n’a ni programme minimum ni programme maximum. Son sort est lié à celui des assemblées, à leur développement cohérent ou à leur dépérissement. Quelques réalisations inséparables et immédiatement applicables permettent de juger de sa réussite ou de son échec l’abolition de tout pouvoir étatique ou para-étatique, l’appropriation par les producteurs de tous les moyens de production, la fin du travail par la création collective, la fin des échanges par le don généralisé, la fin de la survie et du spectacle par la construction individuelle de la vie quotidienne.

Du droit de participation

27. Tout individu a le droit de :

  1. Participer à l’assemblée d’autogestion de son choix.

  2. Elire des délégués.

  3. Etre élu comme délégué.

  4. Saisir l’assemblée de ses revendications, prendre la parole pour les défendre et disposer, pour les faire connaître, de toutes les techniques aux mains de la collectivité.

  5. Jouir dans l’ensemble de sa vie quotidienne des enrichissements dont il bénéficie dans l’assemblée d’autogestion, ceux-ci constituant un minimum.

28. Tout délégué s’engage à défendre les mandats pour lesquels il a été élu. Il en assure l’exécution par tous les moyens. Son élection ne lui accorde aucun privilège ; sa révocation n’entraîne donc aucun discrédit. Le seul critère qui décide de sa révocation ou de son maintien, c’est le résultat de ses démarches.

29. Les membres de l’assemblée ne délèguent pas leur pouvoir : le délégué n’est qu’un moment dans le mouvement de réalisation du pouvoir de tous et de chacun ; il n’en est jamais séparé. C’est pour empêcher cette séparation que les membres doivent rester en contact permanent avec leur délégué et user des télécommunications moins dans un esprit de contrôle qu’afin de lui permettre la consultation à chaque instant de son mandat. Cette communication que les membres de l’assemblée exigent en permanence de leurs délégués ne concerne que la mission qu’ils ont accepté de remplir. Elle n’agit pas comme une entrave à leur créativité mais veille seulement à l’heureux aboutissement du mandat.

30. Tout délégué a le droit de démissionner. Il semble néanmoins qu’un tel droit tombe momentanément sous certaines réserves dans la période d’autodéfense. On voit mal un volontaire de section d’assaut abandonner ses camarades à l’instant de déclencher une opération armée.

31. Sans présumer de la forme que les conditions historiques prêteront au conseil des délégués de l’assemblée d’autogestion généralisée, il est peut-être utile de prévoir quatre sections étroitement unies :

  1. Une section d’équipement, chargée de coordonner les offres de production et les demandes de distribution ; d’équilibrer les stocks de production et les stocks à distribuer ; de régler les rapports entre les zones industrielles et les zones agricoles en mettant tout en oeuvre pour aboutir à leur fusion.

  2. Une section d’autodéfense, chargée d’organiser la guérilla, la libération des territoires contrôlés par les étatistes et la protection des usines prioritaires, des stocks et des centres de matières premières.

  3. Une section d’harmonisation, chargée de coordonner les offres et les demandes passionnelles, d’harmoniser la pluralité des désirs, d’aider à la réalisation des caprices particuliers.

  4. Une section de liaison, chargée des relations avec les assemblées et leurs conseils de délégués.

32. La division des conseils en différentes sections correspond à un premier effort de coordination des demandes et des offres les plus diverses. Mais il n’existe aucune séparation entre les sections ; bien plus, elles travaillent en commun et aident à fonder sur des bases concrètes l’esprit de totalité. Les délégués participent aux réunions et au travail de toutes les sections du conseil.

33. Sauf en matière d’autodéfense - et si la stratégie l’exige -, aucune décision prise à la majorité des votes n’exclut les autres revendications. Si une revendication ne peut être satisfaite (parce que l’équipement matériel nécessaire à sa réalisation fait défaut, ou encore parce qu’elle manifeste une régression vers des conduites anciennes et aliénantes), elle est prise en charge par les délégués de la section d’harmonisation. Ceux-ci veillent à éviter son engorgement et ont pour mandat de la réaliser selon les voeux du demandeur.

34. Chacun a le droit de présenter et de défendre ses revendications jusqu’à satisfaction. (Voir III, 82 et 88).

35. Tout ce qui s’harmonise spontanément n’a pas besoin de passer par l’assemblée d’autogestion généralisée. La diversité des occupations attrayantes, la multiplication des aventures, le goût du changement, le jeu des intrigues, des rencontres, des enthousiasmes atteignent à un tel développement que seul s’harmonise avec l’aide de l’assemblée ce qui n’a pas encore trouvé à s’harmoniser au hasard de la vie quotidienne.

36.Les membres de l’assemblée fixent la fréquence des réunions selon les urgences du moment. L’intérêt et le plaisir de chacun déterminent la participation aux assemblées, et non pas le volontarisme, ni évidemment la contrainte.

37. Le renforcement des possibilités et l’enrichissement des régions et de leurs assemblées est la meilleure garantie de rapports internationaux fondés sur le don et le ludique. D’autre part, l’internationale des assemblées et de leurs conseils assure les plus grandes chances d’harmonisation des désirs et fonde réellement le règne de l’abondance.

38. La liberté de changer d’occupations et de lieux de résidence entraîne la liberté de changer d’assemblée. Une telle mobilité offre au moins trois avantages :

  1. Elle évite la réapparition d’un régionalisme ou l’attachement à une notion de territoire.

  2. Elle évite la fixité des groupes et les habitudes communautaires.

  3. Alliée au souci de satisfaire aussi bien les revendications minoritaires que les majoritaires, elle permet, en modifiant le nombre de membres des assemblées et des groupes d’affinité qui se font et se défont, de dissoudre le critère de la quantité, d’en finir avec les oppositions proportionnelles (tel l’antagonisme majorité-minorité), d’encourager une diversité du qualitatif.

39. Dans les modalités de participation, comme dans les problèmes de réalisation, il importe de veiller à battre en brèche ce qui subsiste de la vieille dictature du quantitatif. Où la diversité existe dans la qualité, la loi du nombre n’a plus cours ; où le dont prédomine sans contrepartie, l’échange de quantités égales disparaît ; où chacun a le droit d’affirmer sa particularité, les groupes cessent d’être considérés comme une simple somme d’individus.

Du droit de communication

40. Tout individu a le droit d’exprimer et de diffuser son opinion, ses désirs, ses revendications, ses critiques par la parole, l’imprimé, le film, les moyens artistiques... Pour cela, il dispose librement des techniques de communication créées, entretenues et améliorées par les assemblées d’autogestion généralisée.

41. Chaque assemblée détient un maximum de moyens de télécommunication. Ceux-ci servent principalement à :

Diffuser les projets et les demandes des individus ou des groupes.

Faire connaître les décisions des assemblées et l’état de développement des problèmes en cours.

Porter à la connaissance de tous les questions d’harmonisation entre les individus et les possibilités d’accorder les offres et les demandes matérielles et passionnelles.

Communiquer des informations sur tout, former des centres d’accumulation de connaissances, diffuser les procédés de création en tout domaine, constituer des mémoires de base à l’usage d’un enseignement fondé sur la curiosité et l’attrait pratique.

Recueillir et communiquer les expériences particulières, les rêves, les souvenirs, les créations, les études et recherches individuelles et collectives.

42. Toute proposition à l’assemblée est débattue et réglée publiquement. Quand tous les attraits sont permis, tous sont avouables et la réalisation d’un désir ne fait qu’exciter à les réaliser tous.

43. L’assemblée assure la communication de ce que la volonté individuelle ne réussit pas à communiquer par elle-même. Elle n’intervient jamais en dehors d’une demande des individus (ce qui reviendrait à agir contre eux et à se nier). Elle n’est pas chargée de limiter mais au contraire de radicaliser, de multiplier et d’enrichir les occupations attrayantes, les rencontres, les expériences, les aventures.

44. Le bilan permanent des réalisations, la pratique de droits nouveaux, le progrès de l’harmonisation sociale permettent de juger avec la plus grande netteté de la marche irrégulière de la longue révolution ; de corriger ses manques, de rappeler ses retards, d’oublier ses progrès.

45. L’assemblée est aussi le lieu où se commettent les fautes. Mais la transparence des rapports entre les individus, rendue possible par l’absence de préjugés, de contraintes et de tabous, encourage non à l’autocritique mais à l’autocorrection permanente. La seule erreur irrémédiable serait de préférer à une assemblée qui se trompe un comité qui a toujours raison.

46. Le conseil des délégués répond à ce que l’assemblée en attend en présentant chaque fois une perspective globale des revendications individuelles et de leur devenir. Il reflète le point de vue de la totalité en rendant compte de ses démarches, de ses réussites, de ses échecs.

Du droit de réalisation

47. L’assemblée d’autogestion généralisée met la collectivité au service des individus, et non l’inverse. Ce que la créativité de chacun lui offre par le jeu des occupations attrayantes est aussitôt et intégralement mis à la disposition de tous sans contrepartie.

48. Le conseil des délégués est un simple organe de coordination. Il est le centre de l’assemblée comme l’assemblée est le pivot de la vie sociale. Il est aussi l’instrument d’exécution des volontés exprimées dans l’assemblée. Ce sont les besoins qui créent les délégués, et non l’inverse. Qu’il n’y ait pas de délégués élus hors de volontés précises à exécuter en sorte qu’à chaque instant, selon les décisions de l’assemblée, ceux-ci puissent être appelés à justifier de la réalisation - immédiate, différée à court terme ou différée à long terme - des demandes exposées.

49. La construction par chacun de sa propre vie individuelle - la réalisation de ce qu’il veut être réellement - signifie la fin de l’économie comme secteur séparé et son intégration à une création collective qui assure inséparablement le libre usage des biens de survie (habits, maisons, nourriture, soins, équipements ménagers) et de l’équipement nécessaire à la réalisation des passions, des rencontres, des aventures, des jeux.

50. Même si l’urgence porte sur l’autodéfense (armements, équipements, vivres, organisation de la guérilla...), la satisfaction des passions individuelles doit rester prioritaire. « Nous ne nous battrons sans réserve qu’à la seule condition de gagner en combattant une vie sans réserve. »

51. La fin du système marchand implique le règne de la gratuité. Celle-ci atteint sa phase irréversible lorsque les assemblées d’autogestion s’emparent des centres de distribution et de production et organisent la répartition des biens ainsi que le libre usage des équipements techniques.

52. La production ou la création de biens ne donne pas droit à la distribution gratuite, comme contrepartie. Nous remplaçons « à chacun selon son travail » par « à chacun selon ses désirs ». Le don doit effacer partout l’échange.

53. Les délégués du conseil sont, d’une façon permanente, mandatés pour suivre le mouvement des stocks dans les « greniers d’approvisionnement » et les magasins collectifs. Les ordinateurs permettent le relevé des possibilités d’approvisionnement et des offres de production et de création. Ces données sont portées à la connaissance de tous. Elles sont la voie vers l’abondance avec son accroissement graduel de stocks, la multiplication de centres de produits excédentaires, l’émulation du luxe et le triomphe du somptueux.

54. Le règne de la gratuité signifie la fin des échanges qui régissent l’ensemble des comportements sociaux dans le système marchand. Quand l’intérêt passionnel l’emporte sur la course au profit et au pouvoir, l’usage des objets et la notion d’utilité se modifient et détournent les gestes quotidiens de leurs anciennes habitudes. C’est ainsi que disparaîtront les réactions d’avarice, d’appropriation privative, de jalousie, de mensonge, de prestige et de spectacle.

55. Le règne de la gratuité ne fera que développer ce que les moments révolutionnaires du passé ont amorcé. Ainsi, à Cronstadt, en 1921, « l’union des agriculteurs, organisation des ouvriers possédant une liaison avec les campagnes, demanda à tous ceux qui possédaient de la vieille ferraille de la donner pour fabriquer des outils d’agriculture. Tout ce qui était fabriqué était répertorié en listes complètes dans les Izvestia du soviet de Cronstadt. Chaque objet portait l’estampille de l’Union des Agriculteurs de Cronstadt. On donnait aux agitateurs du soviet, partant dans les campagnes, selon les possibilités, des objets et instruments fabriqués par cette union ; ils étaient offerts aux paysans par l’intermédiaire de leurs soviets locaux ». (Efim Yartchouk : Cronstadt dans la révolution russe.) L’échange fera place au don, au cadeau sans contrepartie.

56. La fin du système marchand signifie la fin du règne du quantitatif. A mesure que la production laissera place à la création collective, le critère de la qualité l’emportera partout et sera un des facteurs importants de l’émulation passionnelle et de la conquête du luxe. De même que l’art de bien manger doit remplacer le simple besoin de se nourrir, de même la recherche de la qualité dans les produits, les techniques et le style de vie va devenir l’occupation essentielle de tous.

57. Le progrès de la longue révolution se marquera dans le passage de la pratique « A travail minimum, distribution égale pour tous » à son stade plus avancé « A créativité générale, dons maximums pour tous ».

58. Nous voulons que la jouissance de tous les droits soit le droit à toutes les jouissances.

De l’abolition du travail forcé

59. L’autogestion généralisée est le plus court chemin vers l’abondance. Le travail y tend vers zéro, la créativité vers l’infini.

60. La liquidation du travail forcé est l’une des premières mesures qui expriment la réalité du moment révolutionnaire. Son processus est applicable immédiatement par :

  1. La suppression des secteurs parasitaires (industries inutiles ou polluantes, bureaux, ministères, banques, assurances, secteur tertiaire). Celle-ci va libérer un très grand nombre de travailleurs, parmi lesquels il ne manquera pas de volontaires à la fois pour passer 5 à 8 heures par mois en secteurs prioritaires, et pour s’adonner à la création individuelle et collective. Les assemblées coordonneront le déplacement des équipes tournantes. Les volontaires préciseront eux-mêmes le nombre d’heures et leur répartition.

  2. Un renversement de perspective : au lieu de quarante heures de travail forcé par semaine et d’un temps dominé par les impératifs de survie (la course au profit et aux promotions), chaque individu va découvrir les problèmes passionnants que pose la construction d’une société qui se donne pour but d’assurer le bonheur de tous : création et distribution gratuite des biens créés, multiplicité des rencontres, regroupements par affinités, réalisation des désirs par la variété des dispositions passionnelles enfin reconnues et débarrassées des tabous qui les refoulaient vers la violence et la destruction.

  3. L’automatisation sera installée ou développée immédiatement dans les secteurs prioritaires et les travaux résiduels répugnants (nettoyage, destruction des ordures). On veillera notamment à assainir la production d’énergie (étude des procédés de production d’énergie solaire).

61. Il n’est pas sûr, néanmoins, que tous les travaux pénibles puissent être supprimés sur-le-cliamp. Il faut donc veiller :

  1. A ce qu’ils soient de peu de durée.

  2. A les réserver à ceux qui y prennent du plaisir.

  3. A les automatiser en priorité.

62. D’une façon générale, il importe que tout travail forcé résiduel disparaisse au profit de la création collective, grâce à un jeu d’occupations attrayantes. Les travaux indispensables redécouvriront ainsi, mais à un plus haut niveau de développement technique, le caractère de fête que revêtait, dans certaines sociétés agricoles, la corvée des moissons et des vendanges.

63. Une fois abolies les conditions qui font du temps une marchandise, les occupations cessent d’obéir à la nécessité du profit et de la représentation sociale ; elles s’organisent selon les critères du plaisir. Une activité - aujourd’hui dérisoire - comme le bricolage contient en germe une créativité qui n’attend que le moment de se développer sans contrainte et de disposer des techniques les plus élaborées pour enrichir l’humanité, en quelques mois, de plus de trouvailles ingénieuses et agréables que ne lui apportèrent jamais des siècles de travail forcé.

64. Ce qui subsistera de tâches répétitives et ennuyeuses sera agencé de telle sorte que le plus grand nombre possible de gens y consacrent une heure ou deux par goût du changement ; afin que ceux qui y étaient condamnés à demeure n’y restent plus que le temps de former quelques équipes de relève.

65. A mesure que le goût du changement s’affinera, on peut supposer que beaucoup arriveront à une formation polytechnique, c’est-à-dire à la capacité d’exercer avec bonheur n’importe quelle occupation créative.

66. Les nouveaux désirs définissent de nouvelles utilités. A mesure que disparaîtront avec le temps-marchandise les voitures, les déplacements rapides ; avec le spectacle l’organisation du mensonge ; avec la bureaucratie l’Etat et la hiérarchie, etc. la disponibilité de la créativité individuelle aboutira à la déconcentration industrielle et agricole.

67. Il n’y a risque de pénurie que si l’on commet l’erreur de considérer la survie comme prioritaire au lieu de se donner pour but l’élévation globale du style de vie.

68. Il faut désormais éviter les concentrations de population, décentraliser et ouvrir les villes à une nouvelle campagne.

69. La fin des séparations sera aussi la fin de la séparation entre villes et campagne. Cela signifie la mécanisation de l’agriculture débarrassée des impératifs marchands (rentabilité, pollution par engrais...) et la pénétration dans les villes de zones agricoles telles que champs, pâturages, forêts, potagers, zones d’élevage.

70. L’automatisation rapide des secteurs prioritaires encourage la renaissance d’un nouvel artisanat, la redécouverte de techniques anciennes perdues à cause de leur manque de rentabilité, la création d’inventions nouvelles.

71. Aussitôt que possible les usines seront décentralisées en ateliers automatisés de création collective (sur le modèle de ce qui existe, mais de façon archaïque, pour certaines usines de tissage, d’armements, d’horlogerie). Les industries de matières premières fourniront en pièces de base les ateliers de création afin de leur permettre la plus grande variété de produits finis.

72. A côté d’ateliers de création ou de montage, il faut prévoir la multiplication de centres d’expérimentation individuels ou à collectivité réduite ainsi que des machines éparses où chacun peut réparer ou construire, des cuisines et des boulangeries banales, versions modernes des fours et moulins banaux du Moyen Age, voire des greniers à blé.

73. Quels que soient son âge, son état physique, ses capacités, chacun a le droit d’exercer sa créativité librement. C’est un acquis particulièrement important car il est de nature à hâter la liquidation des distinctions d’âge, de sexe, de force physique ou mentale, de capacités ou d’incapacités érigées en prestige, bref à en finir avec les séparations.

74. L’harmonisation sociale incite à la plus grande variété de goûts et de passions. Ce seront désormais les seuls moteurs de l’abondance, la garantie de chaque individu contre tout retour au travail forcé, à la fonction et au rôle.

Du droit de rencontre et d’affinités

75. Le mouvement d’autogestion généralisée est aussi l’étude, la recherche et l’expérimentation de rapports humains fondés sur l’attrait et l’antipathie qui se manifestent entre les individus.

76. Les délégués qui forment la section d’harmonisation sont précisément saisis des conflits ou des accords surgis entre les individus et entre les groupes. La section facilite les rencontres, enregistre et communique l’offre et la demande passionnelles, élargit le champ des possibilités et accumule la plus grande variété de comportements et de désirs.

77. Il ne s’agit pas de supprimer les oppositions et les désaccords mais au contraire de les entretenir en sorte que tout le monde y découvre des plaisirs accrus.

78. Les inégalités, les contrastes, les désirs disparates sont le moteur de l’harmonisation, son principe de variations et de variétés. Leur analyse et leur organisation forment une des préoccupations les plus importantes de la vie quotidienne en autogestion ; elle est vraiment la réalisation de l’histoire individuelle par la réalisation collective de l’histoire.

79. Tout ce qui ne peut être harmonisé sur-le-champ doit être maintenu comme demande urgente, avec délégués dûment chargés du projet de réalisation.

80. Plus il y aura de singularités, plus l’harmonisation se fera spontanément. La meilleure façon de ne pas succomber à une seule passion, c’est d’en avoir plusieurs.

81. Nous ne voulons pas que le refus d’eu revenir au système marchand donne naissance à un nouveau moralisme. L’appel à la vertu révolutionnaire est toujours contrerévolutionnaire. Il ne fait que rendre honteuses et cyniques les tares qu’il condamne. Mensonges, séparations, prestige, passivité, appropriations et toutes les habitudes héritées du système marchand ne disparaîtront pas sous l’effet de contraintes, de sanctions ou de bonnes paroles mais par l’organisation harmonieuse des passions et des volontés de réalisation individuelles.

82. Il est prévisible que des groupes idéologiques antérieurs à la révolution (partis, organisations politiques) tentent de se conserver ou de se reconstituer dans les assemblées. Il faut les combattre résolument pendant la période de lutte à outrance contre les étatistes mais pas au-delà. Si l’autogestion se généralise correctement, les groupes à étiquette politique ou syndicale disparaîtront dans la variété et la complexité des regroupements qui vont se fonder sur les sympathies, les antipathies, les communautés de goûts et de répulsions ; dans un jeu d’accords et de désaccords qui mettra les rivalités et les affinités au service des progrès de l’autogestion.

83. Les individus disposent de toutes les libertés pratiques de ralliement ou de non-ralliement, en sorte qu’ils peuvent se grouper par affinités, se réunir pour des occupations communes, partager leurs passions et leurs goûts, rester seuls, passer d’un groupe à l’autre, se faire les champions enthousiastes d’une activité, changer de préoccupations plusieurs fois par jour, rivaliser d’émulation dans la créativité (concours de meilleur plat cuisiné, d’invention, de perfectionnement des plaisirs, etc.).

84. La cohérence de l’assemblée doit promouvoir un ensemble d’activités agencées de telle sorte qu’elles ne se détruisent pas mutuellement mais au contraire se multiplient et se renforcent. Il est entendu une fois pour toutes qu’une telle organisation implique la disparition des conditions spectaculaires-marchandes et n’a rien de commun avec la dynamique de groupe et autres techniques d’intégration au monde de la survie. Il ne s’agit pas de combiner des désirs aliénés mais au contraire d’harmoniser entre eux les désirs désaliénés, libérés de leur engorgement, débarrassés, par le changement radical des conditions historiques, de ce qui les tournait contre eux-mêmes à la faveur d’un ensemble de contraintes, d’impuissances et de mensonges.

85. Tous les goûts sont dans la nature de l’harmonisation sociale. En liquidant la culpabilité, la promotion et la libération des désirs liquideront aussi ce que le vieux monde connaissait de délits et de crimes. C’est un des paris de l’autogestion généralisée.

86. Les tendances rivales ou divergentes donnent de la vie aux assemblées d’autogestion généralisée et à l’organisation sociale tout entière. « L’absence de discorde, ou bien négatif, n’est que le succédané du bien positif qui naît de la combinaison des discordes. »

87. La nouvelle organisation sociale n’est rien d’autre que l’organisation par tous les individus des désirs, des passions, des volontés, des rêves, créant au jour le jour les conditions historiques de leur libération, de leur développement, de leur réalisation pratique. L’humanité n’a plus d’autre choix, au stade actuel de son histoire, que de disparaître ou de créer les garanties du bonheur individuel.

88. Les comportements et les habitudes hérités du système marchand, et que sa liquidation n’a pas réussi à extirper complètement, il faut les tourner vers le jeu, vers la combinaison ludique des passions, en sorte que l’abondance des jouissances vienne à bout des misérables compensations du renoncement, des manques et de la sous-estimation de soi.

89. Non seulement admettre mais surtout encourager chaque disposition d’un individu, chaque revendication subjective, chaque désir particulier, chaque singularité de goût, chaque capacité, voilà ce qui donne leur valeur positive aux inégalités, voilà ce qui les empêche de s’ordonner selon les fonctions négatives d’une nouvelle hiérarchie. La satisfaction compétitive des tendances individuelles définit la gamme des inégalités positives qui fait, dans les rapports ludiques non contraignants, le charme des rencontres et des regroupements. Nous voulons créer les conditions égalitaires pour toutes nos inégalités subjectives.

90. La pratique de l’harmonisation sociale des individus est inséparable de la lutte contre les séparations. Il est important, par exemple, que l’économie et la vie quotidienne ne subsistent pas comme des secteurs autonomes mais au contraire disparaissent telles qu’elles ont existé jusqu’à présent et se retrouvent étroitement mêlées, indistinctes l’une de l’autre. Il faudra donc veiller à ce que l’offre et la demande passionnelles soient inséparables de l’offre et de la demande de produits de survie (nourriture, connaissances, matières premières, soins, etc.). C’est le travail des délégués de coordonner en un tout ce qui est exigé d’eux de façon séparée, afin que l’esprit de totalité achève de se répandre partout.

91. Le mouvement de regroupements par sympathies et contrastes est à son tour une des plus sûres garanties de la fin des séparations, du parcellaire, des spécialisations. En devenant l’affaire de tous, par un jeu d’émulation générale et de jouissances particulières, l’économie, l’enseignement, les connaissances, le langage... cessent d’être des secteurs et des activités séparés de la construction de la vie quotidienne, et participent ainsi, selon une unité dont les générations passées ont toujours ressenti l’impérieux désir et la très incertaine possibilité, au plus grand bouleversement de l’histoire.

92. L’existence d’une section d’harmonisation au sein du conseil des délégués a son utilité dans la mesure où elle facilite, de façon unitaire avec les autres sections, les possibilités de rencontre et de regroupements attractifs. Elle disparaîtra lorsque les individus auront par eux-mêmes une vue globale des chances de rencontres et d’association. Elle peut hâter notamment l’autogestion des enfants, en coordonnant l’action de tous ceux qui leur sont attachés afin de créer, dans l’âge de survie, les meilleures conditions d’épanouissement, et en apprenant ensuite de leur créativité spontanée comment redécouvrir une finesse disparue, une nouvelle perception du réel, le véritable sens de l’unité entre la parole et l’acte, l’espace et le temps, le rêve et le réel.

De la libre disposition de l’espace-temps

93. L’espace-temps créé par la révolution de la vie quotidienne est l’ensemble des territoires libérés du contrôle étatique et du système marchand, et modifiés en permanence par les individus qui apprennent à construire, collectivement et en particulier, chaque moment de leur existence.

94. Modèle et centre de la vie sociale, l’assemblée d’autogestion généralisée est l’unité de lieu et de temps de la pratique révolutionnaire individuelle et collective. C’est en elle que le vieux projet de se faire en faisant l’histoire découvre sa seule voie de réalisation possible.

95. La libre disposition du temps et la libre disposition de l’espace sont inséparables. Il faut à chaque instant que chacun puisse être partout chez lui. Pratiquement, cela signifie que chaque individu a le droit de bâtir n’importe quel style d’habitation, de créer des ambiances, de se déplacer comme il l’entend (droit de nomadisme), de construire ses rêves, de concrétiser ses souvenirs, de condenser le temps du vécu, de l’émietter en instants fugitifs, d’y mettre fin par le suicide, de l’explorer.

96. Une des moindres modifications de l’espace-temps, réalisable à bref délai, consiste à liquider la distinction entre villes et campagnes. Partiellement envahies par les champs et les forêts, les grandes villes disparaîtront au profit d’une grande dispersion et d’une grande variété d’habitats, mobiles ou fixes, éphémères ou durables.

97. Le droit au changement d’espace-temps de la vie quotidienne entraîne le droit à tous les changements dont rêve la subjectivité (par exemple, changement d’aspect, changement de nom selon les circonstances).

98. Il n’est pas douteux que la libre disposition de l’espace-temps apporte de précieux bouleversements dans le comportement humain. Ainsi se modifiera notre perception du réel ; ainsi nos sens, érodés par les habitudes abrutissantes de la survie, vont s’affiner jusqu’à atteindre une acuité aujourd’hui insoupçonnable.

La révolution en permanence est le pivot rationnel de toutes les passions

[1] Les ouvriers de Lip ont montré jusqu’où ils n’ont pas réussi à aller assez loin. Handicapés par le caractère parasitaire de leur industrie, ils ont agi partiellement pour le mieux en faisant marcher l’usine pour leur propre compte, en s’emparant du stock et en s’assurant une paie sauvage. Mais en conservant les chefs syndicaux, en réduisant leur mouvement à la défense du « droit au travail », en permettant aux pires ennemis de la révolution d’applaudir au spectacle de leur grève, ils ont renoncé à leur propre autonomie, n’ont laissé au mouvement aucune possibilité d’expansion et n’ont amorcé aucun changement historique réel.


Consulté le 24 septembre 2016 de infokiosques.net
Texte publié par l’Union générale d’éditions, 10/18, en 1974.