#title London calling #lang fr #uid london-calling #cat riot #pubdate 2013-01-19 #notes Titre original : *London calling*, publié sur *finimondo* le 8 août 2011
Traduit de l’italien dans *Now war is declared*, journal à numéro unique sur les émeutes anglaises d’août 2011, Ravage éditions (Paris), octobre 2011 Combien de fois est-ce arrivé ? Un jeune homme aux prises avec des agents en uniforme voulant l’arrêter ou l’humilier. Il tente de s’enfuir. Mais sa fuite, ou sa fière hostilité sont mal digérées par celui qui est habitué à être craint et respecté. Et pour cela, il rétablit son autorité contestée de la seule façon qu’il connait : la violence. Un, deux coups d’arme à feu et le jeune récalcitrant est remis en place. Nettoyé. Liquidé. Un exemple pour les autres, pour ses semblables. Mais un exemple qui parfois ne fonctionne pas. Il obtient un résultat diamétralement opposé à celui escompté. Au lieu de provoquer l’obéissance passive chez ceux auxquels il s’adresse, il déchaîne en eux une furieuse révolte.   Après les émeutes de Paris en 2005, après Athènes en décembre 2008, et à quelques semaines des évènements de San Francisco en juillet, c’est au tour de Londres. Jeudi 4 août, dans le quartier de Tottenham, la police a abattu un homme qui fuyait pour éviter l’arrestation. Il s’appelait Mark Dugan, avait 29 ans, une compagne et quatre enfants. Deux jours après, samedi 6, un rassemblement de protestation a lieu devant le commissariat du quartier. Parents de la victime, leaders communautaires et personnalités locales en sont les organisateurs. Ils demandent des réponses, exigent une explication aux institutions sur ce qu’il s’est passé. Avec le temps, le rassemblement enfle. Il y a des personnes qui pleurent, d’autres qui hurlent. Certains se dispersent, d’autres s’énervent. Au soir, il est devenu clair pour tout le monde que des autorités ne viendront ni réponses ni explications. Après les larmes, c’est désormais le sang qui emplit les yeux. Les véhicules de la police sont attaqués. Les bus sont attaqués. Idem pour les magasins. Après un fait pareil, rien ne peut continuer comme avant, rien ne doit continuer comme avant. Les désordres se poursuivent toute la nuit, plusieurs révoltés sont arrêtés, et des flics blessés. Le lendemain l’Angleterre se réveille ahurie. Comment est-ce possible ? Incroyable, mais maintenant, ils se sont défoulés une bonne fois pour toutes. Non, pas encore. Après Tottenham, c’est maintenant tout Londres qui est mise à sac : Enfield, Walthampton, Waltham Forest, Brixton, Oxford Circus, Edmonton, Ponders End, Islington, Streatham, Turnpike Lane, Chingford, Leyton. Tous ces quartiers brûlent d’une nouvelle vie ; il n’y a plus de marchandises à payer, seulement des biens à prendre. Il n’y a plus d’uniformes à craindre et à respecter, mais juste des flics à affronter. Le Dimanche 7 se termine avec un bilan de plus de cent manifestants arrêtés et trente-cinq policiers blessés (dont trois percutés par une voiture alors qu’ils procédaient à une arrestation). Les dommages causés aux magasins et commerces, saccagés et réduits en fumée, s’élèvent à plusieurs dizaines de millions de livres. Si tout cet argent peut être brûlé en une séance à la Bourse, pourquoi les êtres humains ne pourraient-ils pas le faire durant leurs émeutes ? Abasourdis, ce lundi 8 août, les médias anglais se sont lancés dans les hypothèses les plus farfelues pour trouver une raison à ce qu’il s’est passé. Selon certains, la responsabilité incombe aux « musulmans ». Ce sont eux qui mènent la révolte. Aux dires des autres, les provocateurs seraient les « anarchistes ». Ce sont eux qui mènent la révolte. Puis il y a ceux qui la ramènent avec les « immigrés ». Ce sont eux qui mènent la révolte. Ils sont nombreux à blâmer, les ingrats du bien-être occidental. Quoi qu’il en soit, ceux qui pensaient qu’après le week-end tout serait rentré dans la normalité avec le retour au travail ont été déçus. Oui, parce qu’aujourd’hui, ce sont les quartiers de Hackney, Peckham, Clapham Junction, Camberwell et Lewisham qui se soulèvent, suivis par Croydon, Kilburn, Pembury et Tulse Hill. Comme hier, comme avant-hier. Révolte et saccage, saccage et révolte, auxquels auraient participé des personnes de toutes origines et de tout âge, même des gamins de treize ans. Et, pire encore, la révolte ne s’est pas seulement organisée, comme le démontre la circulation de tracts expliquant comment se comporter dans telle ou telle circonstance, également en cas d’arrestation (« Pas de panique, ne parlez pas »), elle a aussi dépassé les limites de Londres, se diffusant à travers le pays, à Birmimgham et Leeds, pour l’instant. Tandis que les flics se disent « choqués » par la violence directe dans les affrontements, le nombre des personnes arrêtées a dépassé les 200. Pourquoi tout cela ? Parce que la vie que trainent les habitants de ces quartiers, de cette métropole, de ce continent, de cette planète est misérable, comme celle qui a été brisée par la police anglaise jeudi soir. Parce que Mark Dugan aurait très bien pu ne pas vivre à Tottenham, mais dans tout autre quartier pauvre, londonien ou non, dans n’importe quelle autre ville, anglaise ou non. Il aurait pu être notre voisin de pallier. Plus encore, il aurait pu être un de nous, n’importe lequel d’entre nous. Ce n’est pas sa couleur de peau qui a motivé le doigt qui a pressé la détente, mais sa non-appartenance au Parti de l’Ordre. Les émeutes de Londres prouvent que partout augmente la rage dans les confrontations au sein d’une vie privée de sens, de passion, de liberté, enserrée dans les murs de la survie quotidienne. Et que cette rage réprimée n’a besoin que d’une étincelle pour exploser. (8 août 2011)